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Armand Robin
1912 - 1961 : éphéméride

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- 1945  -

janvier 2 : Lettre dactylographiée et ironique à Claude Morgan, directeur des Lettres Françaises, dans lequel ont été publiées les listes noires: AR a appris que l'on envisageait de rajouter des noms... il craint donc de devoir laisser sa place : il demande donc à y être maintenu.

2 : Lettre à Jean Paulhan : même motif : demande à Jean Paulhan de faire le nécessaire pour que son nom y reste !

4 : Lettre à Jean Paulhan : annonce 3500 F pour Artaud chaque mois vers le 7 ou 8 (soit 2000 f de plus que prévu le mois précédent !), s'inquiète que ce ne soit pas assez, et s'en excuse : il a d'autres cas semblables. Propose de faire une attestation comme quoi il refuse d'aider Artaud ! A noter que l'on retrouvera effectivement dans le courrier à Jean Paulhan  un billet non daté où il signe qu'il refuse d'aider Artaud en demandant de diffuser à tous cette information. Dit le plus grand bien d'Albert Camus : Il y a quelqu'un qui par son exemple me console en tout: c'est Camus. Quel admirable garçon !

24 : lettre à Jean Bouhier: donne son accord pour un texte à une  revue en projet de Julien Lanoé et Jean Pierre Foucher, sans qu'il soit possible de la définir davantage, La ligne de coeur ayant cessé sa parution depuis 1938, mais craint des représailles pour la revue; narre l'épisode de la liste noire et confirme que c'est bien Aragon qui a tout manigancé pour cause de trotzkysme.

février 7 : lettre à Jean Bouhier : AR donne des conseils à son correspondant qui veut visiblement apprendre le russe. Emet des réserves sur les patronages collectés pour la revue, notamment Claudel et Duhamel, et préfère s'abstenir: Puisque le problème a été posé sur ce plan, je n'ai pas écrit de poème à Pétain comme le premier ni fréquenté l'Institut allemand comme le second; il m'est impossible de "passer" sur des absurdités de ce genre.

8 : lettre de 4 pages à Jean Paulhan: Cher Paulhan.... A l'occasion de son nouveau don pour Artaud, AR s'étonne de disposer maintenant de beaucoup d'argent: La vie est vraiment absurde : voilà que maintenant j'ai à ma disposition des sommes insensées; deux organismes gouvernementaux viennent, sans que je songe à rien demander, de m'augmenter de 3 000 F par mois chacun ; j'avoue que c'est très agréable, mais aussi je me sens gêné et maladroit devant ce sort inattendu.
Alors si vous voyez quelqu'un qui ait besoin d'une aide, dites-le moi ; même si la personne est de mes ennemis, cela n'a pas d'importance, vous ne lui diriez pas d'où vient la somme.
Puis il s'explique une fois encore sur son positionnement et ses difficultés pendant la guerre, les bruits que Paulhan aurait fait circuler, lui reproche ses fréquentations depuis "je suis partout" jusqu'au stalinisme inclus. Et promet une réconciliation un jour. Critique positive du livre de Jean Paulhan, clés de la poésie, paru en 1944.

mars 8 : lettre à Jean Paulhan, sans en-tête, à l'occasion du don pour Artaud; continue la critique élogieuse du livre de Paulhan, et termine en faisant le bilan de ses occupations en mélangeant le sérieux et l'ironique comme souvent durant cette période : Je continue à mener une vie bien remplie : chaque jour, sur 24h, j’en consacre 8 à mon métier, 8 à apprendre le chinois, arabe, japonais, etc. 8 à des poèmes, 8 à m’enivrer, 8 à me plonger dans la débauche ; il me reste encore beaucoup d’heures pour commettre des actes répréhensibles ; l’an dernier j’ai perdu beaucoup de temps à commettre les crimes qu’on a attribués par erreur à Petiot. Et il signe:  le poète indésirable

15 : suicide de Drieu La Rochelle : cet homme, dont les idées étaient diamétralement opposées aux miennes, fut et est mon ami. Je n'ai pas eu le privilège d'une belle éducation bourgeoise et je n'ai jamais pu apprendre que le devoir du citoyen est de vouloir la mort de qui ne pense pas exactement comme lui; j'exprime ici publiquement mon regret de n'avoir pas donné de plus grandes marques d'affection, pendant qu'il en était encore temps, à cet homme que guettait un sort injuste. (note de l'édition de Pasternak aux éditions anarchistes, 1946.

avril *** : AR décide de ne plus servir son Bulletin d'Ecoutes gratuitement au journal l'Humanité

12 : Lettre à Jean Paulhan, avec Cher Paulhan en en-tête, et ce sera désormais la règle.   Il ne joint que 1000 f pour Artaud, mais en promet 2000 pour le mois suivant. Grande nouvelle : Jean Paulhan lui a demandé des poèmes, malgré la liste noire, donc, ce qui indique clairement que chez Gallimard, on ne croit absolument pas à un boycott en cas de publication de Robin. Et Jean Paulhan est particulièrement bien placé pour savoir qui on peut publier et qui on ne peut pas. Mais AR  a un autre projet : N'oubliez pas qu' "on" (sic pour les guillemets) me demande depuis bientôt 3 ans un travail très utile. Cela concerne peut-être une oeuvre demandée par Gaston Gallimard, sans doute les traductions d'Ady (voir novembre 1943).    A moins que le on ne désigne le courant libertaire, et qu'il s'agisse donc des futurs Poèmes Indésirables, ce qui irait dans le sens de la signature de la lettre. Impossible de tout faire, dit Robin. Mais il poursuit : Une bonne nouvelle cependant : le capitaine Gudin (du Pavillon), l'aide de camp de De Gaulle, m'a dit la semaine dernière que je pouvais laisser complètement de côté les informations militaires, le général De Gaulle ne le jugeant plus utile; cela me libère déjà un peu. La signature est à nouveau : le poète indésirable.

mai 17 : Lettre à Jean Paulhan : se trouve en retard pour Artaud et s'excuse pour la modicité de l'aide: il promet de verser 2500 f en juin. Il se trouve un peu démuni car il n'arrive pas à vendre sa TSF et a prêté de l'argent à un de ses frères libéré. Nouveau refus, plus net cette fois pour des poèmes : Des poèmes ? Non, je me sens fortement et vigoureusement indésirable. Et il signe : votre poète indésirable.
juin 15 : 1000 f pour Artaud. Annonce qu'il ne cèdera jamais devant les bourgeois, et les embourgeoisés. Et cela se termine par un cri : Staline ne m'hitlérisera pas.

*** : sans date précise: Le prix prolétarien de la littérature a été décerné [...] Aucun détail à ce sujet ne sera communiqué au monde littéraire. Voir à ce sujet septembre 1943.

juillet 17 : lettre à Michel Ragon: AR refuse de figurer dans son anthologie des écrivains du peuple.

20 : à nouveau en retard pour l'aide Artaud. Chiffre non indiqué. La lettre n'a pas été expédiée, mais déposée dans la boîte aux lettres personnelle de Paulhan, rue des Arênes. AR a acheté un poste de radio, le meilleur qui existe sur terre, un poste professionnel américain, qui est une merveille. Ecoute les méfaits de Staline.

23 : décès de Camille Majorelle, la mère de Jacqueline Dastros. Elle était née à Nancy le 27/12/1875.

août *** : sans date (début août): Lettre à Jean Paulhan, cher Jean ;  signature : affectueusement, Armand : lui envoie un poème et un article du Libertaire N° 7 de   juillet contre le congrès des gardes blancs staliniens au palais de Chaillot. Il s'agit d'un article édito signé "Le libertaire" et intitulé Escroquerie du jour. Il rend compte des Etats généraux de la renaissance française des 10-14 juillet 1945, grande réunion de réconciliation nationale noyautée par le PCF.  Si l'article est d'Armand Robin, il a sans doute été retouché. Ce serait sa 1ère collaboration au journal. Il ne figure pas dans la liste des titres d'articles relevés par Fabrice Magnone pour Le Libertaire  car tous les articles de cette période sont anonymes, ce qui rend la recherche encore plus difficile. Le comité de rédaction s'en explique ainsi dans le même numéro : Pourquoi l’anonymat ?
Un certain nombre de lecteurs nous ayant posé cette question, nous leur donnons les précisions suivantes :
Parce que nous estimons que le journal d’une organisation ne doit pas servir de tremplin pour arriviste ;
Parce qu’il doit être une propriété collective et ne doit servir qu’à sa défense exclusive ;
Parce qu’en signant ses articles, l’individu se met en évidence, et tôt ou tard il marchande sa valeur morale. Il y a dans ce domaine plusieurs façons d’opérer ;
Parce que pour nous la personnalité qui se consacre à la cause avec désintéressement se confond avec la collectivité ;
Parce que le Mouvement libertaire n’a rien de commun avec les partis politiques qui ont la très mauvaise habitude d’entretenir la popularité de certains personnages au-dessus et au détriment du groupement ;
Parce que la valeur d’un article n’est pas subordonnée à la signature ;
Parce qu’enfin les auteurs d’articles prendront toujours la responsabilité de leurs écrits, responsabilité qui ne leur fait nullement peur.
Le Congrès constitutif du Mouvement Libertaire décidera si cette méthode devra continuer à être appliquée.

On comprend pourquoi AR a pu se sentir en famille dans cette équipe fraternelle. Le congrès constitutif de la Fédération anarchiste va lever l'anonymat.
septembre
octobre 6 - 7 : congrès constitutif du mouvement libertaire à Paris. AR y participe très vraisemblement.

15 : Longue Lettre Ouverte de 5 pages aux membres staliniens du CNE : AR exige de rester sur la liste noire : Ayant senti combien l’opinion vous a mal jugés, vous cherchez aujourd’hui à parer au mépris qui monte vers vous ; c’est pourquoi dans votre organe nazi « Les lettres Françaises », numéro du 6 octobre 1945, vous annoncez la nomination d’une commission chargée de réviser la « liste noire » des écrivains français ; sur cette liste , à côté de quelques traitres qui méritaient un châtiment (encore qu’en bonne logique, si on en juge d’après le principe patriotique français, il est hors de doute qu’Aragon devrait être le premier et le plus durement châtié), il vous est arrivé de coucher les noms d’écrivains dont le seul crime était d’avoir refusé toute besogne d’asservissement, d’écrivains suspects à vos yeux de sympathies pour le trotskysme et l’anarchisme. Aujourd’hui, après avoir constaté que l’opinion vous accuse à juste titre d’être responsables d’une des années où la vie littéraire française fut la plus basse, vous espérez qu’en atténuant votre ignominie, vous réussirez à la faire oublier toute ; vous montrant un peu moins infâme, vous escomptez qu’on vous clamera généreux. Les bourgeois peut-être, oui ; mais moi, venu tout droit du peuple, non !
Je vous écris cette lettre pour vous dire que j’exige de rester sur cette liste noire ; même si vous désiriez en retirer tous les noms, j’exige d’y rester, seul, je prendrai toutes mesures pour obtenir que cet honneur, que vous m’avez inconsciemment fait, reste un acquis pour tout le reste de ma vie.
Il revient aussi entre autres sur les raisons qui ont conduit à l'y mettre. Pour lire l'ensemble de la lettre.

15 : envoi d'une lettre recommandée aux Editions Gallimard. AR prend acte que son éditeur a bien obéi aux ordres du CNE et n'a publié aucun livre des auteurs mis en cause par le Comité. Il ajoute : Je prends acte du fait que vous avez obéi aux ordres d'un organisme réactionnaire, aucunement qualifié pour juger de poésie; je prends acte aussi du fait qu'à plusieurs reprises il m'a été répondu dans votre maison que vous ne leur obéissiez pas; la première attitude est une servilité, la seconde est un duplicité. Suit un rappel historique de la liste noire et des calomnies et rumeurs propagées par la maison d'édition. Tout en déclarant que la personne de Gaston Gallimard n'est nullement visée, AR rompt son contrat avec son prestigieux éditeur: En conséquence j'ai le regret de vous informer que je considère rompu le contrat qui me liait à vous. En outre, désirant éviter de voir mon oeuvre publiée dans une maison qui visiblement est de plus en plus asservie au parti de la contre-révolution, je reprendrai la liberté de publier ailleurs les deux livres que j'ai déjà édités chez vous.
On peut constater que c'est bien AR qui prend l'initiative de rompre le contrat et non l'inverse comme on l'a souvent écrit car G Gallimard comme Jean Paulhan continuent à lui réclamer des textes y compris après l'inscription sur liste noire. C'est lui aussi qui refuse des textes à Jean Bouhier et Michel Ragon. La rupture avec les milieux littéraires traditionnels est bien volontaire, parfaitement assumée et non subie. La chronologie des événements ne laisse aucune place au doute.
Sur la copie de cette lettre, AR a griffonné quelques mots aimables à destination de Jean Paulhan : manifestement il n'est pas personnellement visé non plus. C'est bien la maison Gallimard  (et non les gens qui la représentent) qui est visée et seulement en tant qu'institution et symbole des milieux littéraires.

Commentaire de Jean Paulhan le 29 dans une lettre à Jean Guéhenno : Robin m'écrit qu'il retire toute collaboration à la maison Gallimard, tant qu'elle ne sera pas désembourgeoisée. Il ajoute que des bruits infâmes touchant son activité se répandent dans cette maison sur le monde entier. Je lui réponds que toi et moi du moins n'avons cessé de le défendre contre ceux qui le tiennent pour un agent provocateur. Drôle de garçon.

22 : lettre dactylographiée à Jean Paulhan : a dû interrompre les versements Artaud à la suite de frais imprévus, mais va les reprendre. Annonce qu'il va écrire au Ministre de l'Education Nationale pour rester sur la liste noire du CNE, et que Les Poèmes Indésirables qu'il joint à ses missives n'en sont qu'à leur début. Il envoie notamment : Les poètes sont obéissants (qui deviendra les poétereaux bourgeois sont obéissants), Pour un immense assassiné (Trotzky), Souvenance d'un monde oublié (qui deviendra Une saison chez les sous-hommes) et Un oubli. Pour se représenter le travail d'Armand Robin, on peut comparer ici les textes des versions provisoires et textes définitifs :  Une saison chez les sous-hommes - Pour un immense assassiné.

novembre 18 : Lettre à Marcel Laurent : raconte la Libération à Paris et comment il s'est installé écouteur de radios : Comme je connaissais 20 langues, j'étais dès l'occupation l'informateur (pour la radio étrangère) de la Sécurité militaire, du CC du parti stalinien, de Combat, etc.; du jour au lendemain, je fus rattaché au service d'information du cabinet de De Gaulle, etc. Puis il raconte sa liste noire, allant jusqu'à écrire : Trouvant l'attitude de ces anti-fascistes typiquement fasciste, je demandai à être mis sur la liste. La commission d'épuration refusa net. Je ne perdis pas courage, je fus mis sur la liste, tout seul sur une liste à part. Très beau ! Il annonce également son appartenance à la Fédération anarchiste. Il affirme que les Trotzkystes sont également très actifs, ce qui laisse deviner son penchant idéologique. Il fréquente Marcel Bas, artisan typographe et anarchiste de vieille tradition, selon Marcel Laurent.

20 : Le Libertaire publie  Lettre à tous les hommes, qui figurera dans Les Poèmes Indésirables. 1ère collaboration certaine au journal. On peut donc considérer que la décision de publier désormais aux éditions anarchistes est acquise.

décembre 2 : congrès constitutif de la Fédération Anarchiste, qui regroupe quasiment  l'ensemble des mouvements anarchistes français : AR y participe vraisemblablement car il devient secrétaire de la fédération anarchiste de la région sud de Paris et de la Seine.

4 : billet rapide à Marcel Laurent qui l'a sollicité pour un poste dans l'enseignement dans la région parisienne. AR va lui chercher des cours particuliers et lui trouvera même un poste à l'année dans l'enseignement privé.

Noël : date de Au lieu du titre de propriété,   la célèbre préface des Poèmes Indésirables : AR met ses poèmes dans le domaine public: Leur reproduction et leur traduction sont absolument libres pour tous les pays ; aucun droit d'auteur ; ces poèmes tombent dans le domaine public, dès aujourd'hui ; ils ne doivent être utilisés par aucun parti politique existant ou à venir ; étant nés sans patrie pour toutes les patries, ils ne doivent servir aucune cause « nationale », ni aucune cause faussement « internationale » ; ils ne doivent être cités élogieusement par aucun journal, aucune radio, aucune « revue littéraire » ; bref aucun organisme officiellement ou officieusement chargé de tromper ; ils ne doivent être l'objet d'aucune approbation de la part d'aucun « intellectuel », à moins qu'il ne puisse prouver son absolue non-coopération avec toute forme d'oppression présente ou future ; ils doivent faire leur oeuvre sans aucun bruit, sans aucune aide et surtout sans aucune propagande, vaincre sans aucune arme d'aucune sorte l'énorme silence qui recouvre en ce moment sur terre la tentative d'assassinat de toutes les consciences ; ils doivent demander toutes leurs ressources au seul Amour.
Ces poèmes et ceux qui suivront seront jetés à la mer avec des ressources provenant exclusivement de mon travail. Puis que viennent les plus fortes vagues pour les perdre !
Il s’agit ici d'un cri en mots français ; si je peux rester sans dormir pendant encore quelque dix années, j'espère également pouvoir parler dans la langue de tout pays qu'on aura privé d'expression.
Le post-scriptum indique que celui qui souhaite rétribuer l'auteur doit envoyer l'argent aux anarchistes espagnols en lutte contre Franco.
Le recueil se présente sous forme d'un petit volume de 36 pages agraphées d'un papier d'après la guerre qui va vite jaunir. La mise en page est pour le moins inconfortable à la lecture et les nombreux vers coupés ou écrits en majuscules n'arrangent pas les choses. Mais au milieu de tout ça, on trouve le poème le plus connu d'Armand Robin, Le programme en quelques siècles. Le texte complet, dans une version agréable à la lecture, se trouve aujourd'hui édité par Jean-Paul Rocher dans le recueil Le Combat Libertaire.

*** : fin du mois ou début 1946 : parution des Poèmes Indésirables, aux éditions anarchistes.

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*** Les événements ainsi marqués, quoique authentiques, ne peuvent être datés de manière très précise. Ils figurent en tête de l'année ou du mois.

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