- 1945 - |
janvier | 2
: Lettre dactylographiée et ironique à Claude Morgan,
directeur des Lettres Françaises, dans lequel ont
été publiées les listes noires: AR a appris que l'on
envisageait de rajouter des noms... il craint donc de devoir
laisser sa place : il demande donc à y être maintenu.
2 : Lettre à Jean Paulhan : même motif : demande à Jean Paulhan de faire le nécessaire pour que son nom y reste ! 4 : Lettre à Jean Paulhan : annonce 3500 F pour Artaud chaque mois vers le 7 ou 8 (soit 2000 f de plus que prévu le mois précédent !), s'inquiète que ce ne soit pas assez, et s'en excuse : il a d'autres cas semblables. Propose de faire une attestation comme quoi il refuse d'aider Artaud ! A noter que l'on retrouvera effectivement dans le courrier à Jean Paulhan un billet non daté où il signe qu'il refuse d'aider Artaud en demandant de diffuser à tous cette information. Dit le plus grand bien d'Albert Camus : Il y a quelqu'un qui par son exemple me console en tout: c'est Camus. Quel admirable garçon ! 24 : lettre à Jean Bouhier: donne son accord pour un texte à une revue en projet de Julien Lanoé et Jean Pierre Foucher, sans qu'il soit possible de la définir davantage, La ligne de coeur ayant cessé sa parution depuis 1938, mais craint des représailles pour la revue; narre l'épisode de la liste noire et confirme que c'est bien Aragon qui a tout manigancé pour cause de trotzkysme. |
février | 7
: lettre à Jean Bouhier : AR donne des conseils à son
correspondant qui veut visiblement apprendre le russe. Emet
des réserves sur les patronages collectés pour la revue,
notamment Claudel et Duhamel, et préfère s'abstenir: Puisque
le problème a été posé sur ce plan, je n'ai pas écrit de
poème à Pétain comme le premier ni fréquenté l'Institut
allemand comme le second; il m'est impossible de "passer"
sur des absurdités de ce genre.
8 : lettre de 4 pages à Jean Paulhan: Cher
Paulhan.... A l'occasion de son nouveau don pour
Artaud, AR s'étonne de disposer maintenant de beaucoup
d'argent: La vie est vraiment absurde : voilà que
maintenant j'ai à ma disposition des sommes insensées;
deux organismes gouvernementaux viennent, sans que je
songe à rien demander, de m'augmenter de 3 000 F par
mois chacun ; j'avoue que c'est très agréable, mais
aussi je me sens gêné et maladroit devant ce sort
inattendu. |
mars | 8
: lettre à Jean Paulhan, sans en-tête, à l'occasion du don
pour Artaud; continue la critique élogieuse du livre de
Paulhan, et termine en faisant le bilan de ses occupations
en mélangeant le sérieux et l'ironique comme souvent durant
cette période : Je continue à mener une vie bien
remplie : chaque jour, sur 24h, j’en consacre 8 à mon
métier, 8 à apprendre le chinois, arabe, japonais, etc. 8
à des poèmes, 8 à m’enivrer, 8 à me plonger dans la
débauche ; il me reste encore beaucoup d’heures pour
commettre des actes répréhensibles ; l’an dernier j’ai
perdu beaucoup de temps à commettre les crimes qu’on a
attribués par erreur à Petiot. Et il signe:
le poète indésirable
15 : suicide de Drieu La Rochelle : cet homme, dont les idées étaient diamétralement opposées aux miennes, fut et est mon ami. Je n'ai pas eu le privilège d'une belle éducation bourgeoise et je n'ai jamais pu apprendre que le devoir du citoyen est de vouloir la mort de qui ne pense pas exactement comme lui; j'exprime ici publiquement mon regret de n'avoir pas donné de plus grandes marques d'affection, pendant qu'il en était encore temps, à cet homme que guettait un sort injuste. (note de l'édition de Pasternak aux éditions anarchistes, 1946. |
avril | *** :
AR décide de ne plus servir son Bulletin d'Ecoutes
gratuitement au journal l'Humanité
12 : Lettre à Jean Paulhan, avec Cher Paulhan en en-tête, et ce sera désormais la règle. Il ne joint que 1000 f pour Artaud, mais en promet 2000 pour le mois suivant. Grande nouvelle : Jean Paulhan lui a demandé des poèmes, malgré la liste noire, donc, ce qui indique clairement que chez Gallimard, on ne croit absolument pas à un boycott en cas de publication de Robin. Et Jean Paulhan est particulièrement bien placé pour savoir qui on peut publier et qui on ne peut pas. Mais AR a un autre projet : N'oubliez pas qu' "on" (sic pour les guillemets) me demande depuis bientôt 3 ans un travail très utile. Cela concerne peut-être une oeuvre demandée par Gaston Gallimard, sans doute les traductions d'Ady (voir novembre 1943). A moins que le on ne désigne le courant libertaire, et qu'il s'agisse donc des futurs Poèmes Indésirables, ce qui irait dans le sens de la signature de la lettre. Impossible de tout faire, dit Robin. Mais il poursuit : Une bonne nouvelle cependant : le capitaine Gudin (du Pavillon), l'aide de camp de De Gaulle, m'a dit la semaine dernière que je pouvais laisser complètement de côté les informations militaires, le général De Gaulle ne le jugeant plus utile; cela me libère déjà un peu. La signature est à nouveau : le poète indésirable. |
mai | 17 : Lettre à Jean Paulhan : se trouve en retard pour Artaud et s'excuse pour la modicité de l'aide: il promet de verser 2500 f en juin. Il se trouve un peu démuni car il n'arrive pas à vendre sa TSF et a prêté de l'argent à un de ses frères libéré. Nouveau refus, plus net cette fois pour des poèmes : Des poèmes ? Non, je me sens fortement et vigoureusement indésirable. Et il signe : votre poète indésirable. |
juin | 15
: 1000 f pour Artaud. Annonce qu'il ne cèdera jamais devant
les bourgeois, et les embourgeoisés. Et cela se termine par
un cri : Staline ne m'hitlérisera pas.
*** : sans date précise: Le prix prolétarien de la littérature a été décerné [...] Aucun détail à ce sujet ne sera communiqué au monde littéraire. Voir à ce sujet septembre 1943. |
juillet | 17
: lettre à Michel Ragon: AR refuse de figurer dans son
anthologie des écrivains du peuple.
20 : à nouveau en retard pour l'aide Artaud. Chiffre non indiqué. La lettre n'a pas été expédiée, mais déposée dans la boîte aux lettres personnelle de Paulhan, rue des Arênes. AR a acheté un poste de radio, le meilleur qui existe sur terre, un poste professionnel américain, qui est une merveille. Ecoute les méfaits de Staline. 23 : décès de Camille Majorelle, la mère de Jacqueline Dastros. Elle était née à Nancy le 27/12/1875. |
août | ***
: sans date (début août): Lettre à Jean Paulhan,
cher Jean ; signature : affectueusement,
Armand : lui envoie un poème et un article du Libertaire
N° 7 de juillet contre le congrès des gardes
blancs staliniens au palais de Chaillot. Il s'agit
d'un article édito signé "Le libertaire" et intitulé Escroquerie
du jour. Il rend compte des Etats
généraux de la renaissance française des 10-14 juillet 1945,
grande réunion de réconciliation nationale noyautée par le
PCF. Si l'article est d'Armand Robin, il a sans doute
été retouché. Ce serait sa 1ère collaboration au journal. Il
ne figure pas dans la liste des titres d'articles relevés
par Fabrice Magnone pour Le Libertaire car
tous les articles de cette période sont anonymes, ce qui
rend la recherche encore plus difficile. Le comité de
rédaction s'en explique ainsi dans le même numéro : Pourquoi
l’anonymat ? Un certain nombre de lecteurs nous ayant posé cette question, nous leur donnons les précisions suivantes : Parce que nous estimons que le journal d’une organisation ne doit pas servir de tremplin pour arriviste ; Parce qu’il doit être une propriété collective et ne doit servir qu’à sa défense exclusive ; Parce qu’en signant ses articles, l’individu se met en évidence, et tôt ou tard il marchande sa valeur morale. Il y a dans ce domaine plusieurs façons d’opérer ; Parce que pour nous la personnalité qui se consacre à la cause avec désintéressement se confond avec la collectivité ; Parce que le Mouvement libertaire n’a rien de commun avec les partis politiques qui ont la très mauvaise habitude d’entretenir la popularité de certains personnages au-dessus et au détriment du groupement ; Parce que la valeur d’un article n’est pas subordonnée à la signature ; Parce qu’enfin les auteurs d’articles prendront toujours la responsabilité de leurs écrits, responsabilité qui ne leur fait nullement peur. Le Congrès constitutif du Mouvement Libertaire décidera si cette méthode devra continuer à être appliquée. On comprend pourquoi AR a pu se sentir en famille dans cette équipe fraternelle. Le congrès constitutif de la Fédération anarchiste va lever l'anonymat. |
septembre | |
octobre | 6
- 7 : congrès constitutif du mouvement
libertaire à Paris. AR y participe très vraisemblement.
15 : Longue Lettre Ouverte de 5 pages
aux membres staliniens du CNE : AR exige de
rester sur la liste noire : Ayant senti combien
l’opinion vous a mal jugés, vous cherchez aujourd’hui à
parer au mépris qui monte vers vous ; c’est pourquoi
dans votre organe nazi « Les lettres Françaises »,
numéro du 6 octobre 1945, vous annoncez la nomination
d’une commission chargée de réviser la « liste noire »
des écrivains français ; sur cette liste , à côté de
quelques traitres qui méritaient un châtiment (encore
qu’en bonne logique, si on en juge d’après le principe
patriotique français, il est hors de doute qu’Aragon
devrait être le premier et le plus durement châtié), il
vous est arrivé de coucher les noms d’écrivains dont le
seul crime était d’avoir refusé toute besogne
d’asservissement, d’écrivains suspects à vos yeux de
sympathies pour le trotskysme et l’anarchisme.
Aujourd’hui, après avoir constaté que l’opinion vous
accuse à juste titre d’être responsables d’une des
années où la vie littéraire française fut la plus basse,
vous espérez qu’en atténuant votre ignominie, vous
réussirez à la faire oublier toute ; vous montrant un
peu moins infâme, vous escomptez qu’on vous clamera
généreux. Les bourgeois peut-être, oui ; mais moi, venu
tout droit du peuple, non ! 15 : envoi d'une lettre recommandée aux
Editions Gallimard. AR prend acte que son éditeur a bien
obéi aux ordres du CNE et n'a publié aucun livre des
auteurs mis en cause par le Comité. Il ajoute : Je
prends acte du fait que vous avez obéi aux ordres d'un
organisme réactionnaire, aucunement qualifié pour juger
de poésie; je prends acte aussi du fait qu'à plusieurs
reprises il m'a été répondu dans votre maison que vous
ne leur obéissiez pas; la première attitude est une
servilité, la seconde est un duplicité. Suit un
rappel historique de la liste noire et des calomnies et
rumeurs propagées par la maison d'édition. Tout en
déclarant que la personne de Gaston Gallimard n'est
nullement visée, AR rompt son contrat avec son prestigieux
éditeur: En conséquence j'ai le regret de vous
informer que je considère rompu le contrat qui me liait
à vous. En outre, désirant éviter de voir mon oeuvre
publiée dans une maison qui visiblement est de plus en
plus asservie au parti de la contre-révolution, je
reprendrai la liberté de publier ailleurs les deux
livres que j'ai déjà édités chez vous. Commentaire de Jean Paulhan le 29 dans une lettre à Jean
Guéhenno : Robin m'écrit qu'il retire toute
collaboration à la maison Gallimard, tant qu'elle ne
sera pas désembourgeoisée. Il ajoute que des bruits
infâmes touchant son activité se répandent dans cette
maison sur le monde entier. Je lui réponds que toi et
moi du moins n'avons cessé de le défendre contre ceux
qui le tiennent pour un agent provocateur. Drôle de
garçon. 22 : lettre dactylographiée à Jean Paulhan : a dû interrompre les versements Artaud à la suite de frais imprévus, mais va les reprendre. Annonce qu'il va écrire au Ministre de l'Education Nationale pour rester sur la liste noire du CNE, et que Les Poèmes Indésirables qu'il joint à ses missives n'en sont qu'à leur début. Il envoie notamment : Les poètes sont obéissants (qui deviendra les poétereaux bourgeois sont obéissants), Pour un immense assassiné (Trotzky), Souvenance d'un monde oublié (qui deviendra Une saison chez les sous-hommes) et Un oubli. Pour se représenter le travail d'Armand Robin, on peut comparer ici les textes des versions provisoires et textes définitifs : Une saison chez les sous-hommes - Pour un immense assassiné. |
novembre | 18
: Lettre à Marcel Laurent : raconte la Libération à Paris et
comment il s'est installé écouteur de radios : Comme je
connaissais 20 langues, j'étais dès l'occupation
l'informateur (pour la radio étrangère) de la Sécurité
militaire, du CC du parti stalinien, de Combat, etc.; du
jour au lendemain, je fus rattaché au service
d'information du cabinet de De Gaulle, etc. Puis il
raconte sa liste noire, allant jusqu'à écrire : Trouvant
l'attitude de ces anti-fascistes typiquement fasciste, je
demandai à être mis sur la liste. La commission
d'épuration refusa net. Je ne perdis pas courage, je fus
mis sur la liste, tout seul sur une liste à part. Très
beau ! Il annonce également son appartenance à la
Fédération anarchiste. Il affirme que les Trotzkystes sont
également très actifs, ce qui laisse deviner son penchant
idéologique. Il fréquente Marcel Bas, artisan typographe et
anarchiste de vieille tradition, selon Marcel Laurent.
20 : Le Libertaire publie Lettre à tous les hommes, qui figurera dans Les Poèmes Indésirables. 1ère collaboration certaine au journal. On peut donc considérer que la décision de publier désormais aux éditions anarchistes est acquise. |
décembre | 2
: congrès constitutif de la Fédération
Anarchiste, qui regroupe quasiment l'ensemble des
mouvements anarchistes français : AR y participe
vraisemblablement car il devient secrétaire de la fédération
anarchiste de la région sud de Paris et de la Seine.
4 : billet rapide à Marcel Laurent qui l'a sollicité pour un poste dans l'enseignement dans la région parisienne. AR va lui chercher des cours particuliers et lui trouvera même un poste à l'année dans l'enseignement privé. Noël : date de Au lieu du
titre de propriété, la célèbre
préface des Poèmes Indésirables : AR met ses
poèmes dans le domaine public: Leur reproduction et
leur traduction sont absolument libres pour tous les
pays ; aucun droit d'auteur ; ces poèmes tombent dans le
domaine public, dès aujourd'hui ; ils ne doivent être
utilisés par aucun parti politique existant ou à venir ;
étant nés sans patrie pour toutes les patries, ils ne
doivent servir aucune cause « nationale », ni aucune
cause faussement « internationale » ; ils ne doivent
être cités élogieusement par aucun journal, aucune
radio, aucune « revue littéraire » ; bref aucun
organisme officiellement ou officieusement chargé de
tromper ; ils ne doivent être l'objet d'aucune
approbation de la part d'aucun « intellectuel », à moins
qu'il ne puisse prouver son absolue non-coopération avec
toute forme d'oppression présente ou future ; ils
doivent faire leur oeuvre sans aucun bruit, sans aucune
aide et surtout sans aucune propagande, vaincre sans
aucune arme d'aucune sorte l'énorme silence qui recouvre
en ce moment sur terre la tentative d'assassinat de
toutes les consciences ; ils doivent demander toutes
leurs ressources au seul Amour. *** : fin du mois ou début 1946 : parution des Poèmes Indésirables, aux éditions anarchistes. |
index éphéméride
*** Les événements ainsi marqués, quoique authentiques, ne peuvent
être datés de
manière très précise. Ils figurent en tête de l'année ou du mois.