En 1936, Armand Robin confie à la
revue Europe un texte intitulé Hommes sans destin. En
1941, il songe enfin à le remanier et à lui donner une suite : ce sera Le
Temps qu'il Fait, le seul livre de lui qui ressemble à un roman... mais de
loin seulement. Car on y trouve des textes poétiques et des dialogues qui ne
dépareraient pas dans une oeuvre théâtrale. Ajoutons que l'on présente souvent
l'oeuvre comme une vraie épopée, celle des paysans du centre-Bretagne dans leur lutte
pour la survie, pour le droit à la connaissance.
Une lettre à Jean Guéhenno (8 août 1935) exprime bien les intentions de
l'auteur alors qu'il est en train de travailler à la première partie :
La seule chose qui importe, c'est enfin de pouvoir vivre un peu, de
me mêler aux hommes, d'être disponible pour toutes leurs joies, leurs soucis et leurs
peines; c'est surtout de pouvoir créer une oeuvre. Par exemple il y a des drames à
décrire; il y a des gens dont on n'a jamais parlé: tous ces esclaves que j'ai vu mourir
en Bretagne, sans avoir jamais connu de destin: que diriez-vous d'une oeuvre consacrée à
la vie de ces êtres sans destinée? Il y a ces petits paysans qui me côtoyaient à 14-15
ans: entre deux travaux, ils dérobaient quelques minutes pour aller lire contre un talus
un Hugo tout boueux; j'ai triomphé; eux ont été vaincus; il sont maintenant redevenus
couleur de terre, tout gris; mais leur sort m'émeut plus que celui de ceux qui ont
réussi. |
|
Pour lire Hommes
sans destin, revue Europe Novembre 1936
Le temps qu'il fait paraît en 1942, dans la
collection blanche, chez Gallimard, précédé d'un extrait, Chevaux,
en décembre 1941 dans la NRF.
Après avoir été réédité en 1981 dans la collection blanche, le
livre est aujourd'hui disponible dans la collection L'Imaginaire.
Il est remarquable que M. Armand Robin ait donné son livre Le temps qu'il fait pour un roman. Beaucoup y
verront un grand poème où la prose cherche le vers et s'accomplit souvent dans les
conventions d'une prosodie assez stricte. Il y a une alliance constante entre des formes
diverses d'expression. Des poèmes, n'obéissant qu'à leurs lois, se font jour presque à
toutes les pages et, même parmi les réseaux dont le langage ordinaire constitue la
trame, on surprend le frémissement d'un rythme, l'appel d'une cadence qui demande en vain
à être libre. Cette exigence poétique, loin de rendre absurde la forme du roman dans
laquelle elle se développe, lui impose un caractère d'authenticité qui la sauve de
certains doutes.
Maurice
Blanchot, Faux-pas, 1943
|