Souvenance
dun monde oublié |
UNE SAISON CHEZ LES
SOUS-HOMMES Tous les hommes furent habillés Aux couleurs des bandits politiques ; On les vit d'un pas gymnastique Se hâter vers les plus bêtifiés. Grâce au progrès la terre était un cirque mirifique Avec chaque jour des galas magnifiques : Des millions d'innocents tués au nom de la liberté, Cent peuples mis aux fers au nom de l'humanité, La famine partout aidée au nom de la prospérité, Surtout au nom de la Pensée plus aucune pensée. On voyait sur un même tréteau, Inégalablement sots, Inégalablement idiots, Inégalablement brutaux, Inégalablement bestiaux, STALINE, HITLER, TITO, FRANCO, Nouvelle espèce d'animaux Dont ne voudraient pas les si bons animaux ; Et chacun devait clamer : « ILS SONT BEAUX ! ILS SONT BEAUX ! » Il fallait sous leurs mots devenir sans mot, Devenir morts sous leur moindre mot, Pour chacun de leurs mots dire un « Merci » très chaud, Pour chacune de leurs morts dire un « Merci » très haut, Chanter : « La vie est belle quand on est tué ! » Confesser : « On a raison de nous rendre tous muets ! » En cadence répéter : « Le vrai c'est le faux, « Le laid c'est le beau, le froid c'est le chaud « Et le haut c'est le bas et le bas c'est le haut « Et Staline eut raison, a raison, Staline est beau, « Staline est le seul beau, Staline est sans défaut ! » Le ton de ces « mercis » était surveillé. En ces temps-là vous pouviez tuer Tous ceux qui n'avaient pas vos idées ; Le programme était de tuer Tous ceux qui maintenaient quelque haute idée ; Et même la très grande mode était de tuer Quiconque concevait une quelconque idée ; Tout meurtre par les lettrés était aidé ; Plus le meurtre était fréquent, Plus les paulhans étaient contents. Les travailleurs de France haïssaient Leurs frères, les travailleurs allemands ; On disait d'un peuple entier : « Il mérite un châtiment. » On massacrait femmes, enfants : les poètes applaudissaient. On notait pour les châtier ceux qui se promenaient Seuls, Ceux qui allaient dans les écoles pour étudier Seuls, Ceux qui allaient près des ruisseaux pour écouter Seuls ; Surtout on notait ceux qui donnaient soupçon de penser Seuls. Devant l'estrade des GRANDS MESSIEURS DÉCORÉS Chaque dimanche les pauvres défilaient Trois par trois en criant : « Nous voilà bien mâtés, « C'est afin de mieux prouver que nous sommes libérés ; « Il n'y a plus de pauvreté, il n'y a que du progrès ! « Gloire à Staline le bien-aimé, l'unique, l'ensoleillé ! « Il nous a dit : « Vous êtes pauvres ? Pour supprimer la pau¬vreté « Il suffit d'afficher : « LA PAUVRETÉ EST SUPPRIMËE ! ». L'homme de ces temps-là, tous lui faisaient du mal ; Il devait témoigner : « Nul ne me fait de mal ! » |
Armand Robin 1945 version provisoire | Version insérée dans Les Poèmes Indésirables, 1946 |
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