poemes indésirables pour un immense assassiné

POUR UN IMMENSE ASSASSINÉ A Léon Trotsky Viens à nous, martyr sans pays pour tout pays ! Toi que plus rien, sauf un songe très pur n’appuie, Il nous faut ton appui de traqué non asservi, De mort tenant en tout pays le parti de la vie. Battu mais pas abattu, Pourchassé mais pas chassé Frappé mais pas happé, Défendu mais mieux répandu Assailli mais pas sali, Saccagé mais pas ravagé Rabaissé mais pas abaissé, Trahi mais moins travesti, Aucun assassinat ne peut t'assassiner ; Aucun ricanement ne peut te railler Aucun exil ne peut t'exiler ; Plus viendra l'ordre « Oubli sur lui » moins tu seras un oublié. Ton cadavre est plus vivant que ceux qui t'ont tué. Sous eux tombé, tu les effrayes.	POUR UN IMMENSE ASSASSINÉ A la mémoire de TROTZKY Banni De tes bannissements même banni : Banni dont il faut dire : « IL NE FUT JAMAIS BANNI ! » Assassiné Dans ton assassinat plus qu'assassiné : Assassiné dont il faut dire : « IL NE FUT PAS ASSASSINÉ ! » Ils sont contraints chaque matin de t'exiler, toi, l'exilé ; Ils sont contraints chaque matin de te tuer, toi, le tué ; Un siècle entier tous les matins ils devront tout recommencer. Ils courront la Terre entière pour essayer de t'enterrer. Traqué non happé, Frappé non sapé, Assailli non sali, Trahi non travesti, Battu non abattu, Chu non déchu, Aucun assassinat ne peut t'assassiner ; Aucun exil ne peut t'exiler ; Plus viendra l'ordre « OUBLI SUR LUI » moins tu seras un oublié. Ton cadavre est plus vivant que ceux qui t'ont tué. Tombé sous eux, tu les effrayes. Ils ont peur de l'ombre de ton ombre. Ils ont raison : Rien que l'ombre de ton ombre Près d’eux est LA substance, en comparaison. NOUS VIVONS DES TEMPS OÙ LES ASSASSINÉS SONT DEBOUT ; PLUS ON LES ASSASSINE ET PLUS ILS SONT DEBOUT. LES ASSASSINS NE LE SAVENT PAS, LES ASSASSINS NE VOIENT PAS
Armand Robin 1945 version provisoire	Version insérée dans Les Poèmes Indésirables, 1946