Le
bec de la plume J’ai, sur ma table,
les poèmes d'Armand Robin, cet étonnant
écrivain qui, à trente ans, connaît presque toutes
les langues de ce monde,
après avoir vécu dans une ferme bretonne jusqu’aux
environs de la vingtième
année. En un temps où l'on a trop tendance à prendre
dans le seul passé fous
les exemples, celui-ci est à méditer. Mais je n'ai pas
l'intention d'écrire, aujourd’hui, un
traité de la volonté au XXe siècle, pas même de
juger de la valeur de ces
poèmes qui nous viennent pourtant d'un vrai pète.
Robin pose un autre cas,
aussi curieux : celui du nouveau clandestin. Pour
des raisons que j'ignore, il
a été inscrit sur la liste noire du Comité des
Ecrivains. Cas banal, mais alors
que ses confrères essaient généralement de faire
oublier cet incident, ce
Breton à la langue multiple considère cette mention
comme un titre de gloire,
et sur la couverture de ses livres, elle suit son
nom comme s'il s'agissait de
l'Académie française ou des jeux floraux. Et le
titre du volume complète bien
l'intention : les
poèmes indésirables.
Insolence ou non,
justifiée ou prétentieuse, cette attitude ne
me déplaît pas. Indésirables, presque tous les
grands poèmes le furent au
moment de leur publication. (Ce qui ne suffit pas
pour accorder du génie à tous
ceux qui osent affronter les puissances du jour). Et
on l'a bien vu encore
pendant les années d'occupation où seul
l'indésirable était lu. Mais, de
Molière à Hugo, de Villon à Rimbaud, nous avons
encore bien d'autres
illustrations de cette règle : le poète est d'abord
un opposant. On nous annonce
périodiquement des régimes où il ira enfin
du même pas que ses voisins, où il chantera la même
chanson que le président du
Conseil. Je ne le crois pas,
et même, je mentirais si j'écrivais que
je le souhaite. Je ne désire, à
Robin ! que l'indésirable.
La Gazette des lettres 09/11/1946 |
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L'attaque du journal d'Aragon, Les Lettres Françaises et la réponse d'Armand Robin dans Le Libertaire : lib_maladresses.html |