Les joncs
La menthe sur la fontaine faisait l'odorante, Les joncs dodelinaient en groupes denses, La bruyère devenait rose, l'eau devenait
brise, La révérence des joncs enveloppait la menthe. Je riais, j'ignorais qu'après bien des années Ces plantes dans mes poèmes fleuriraient en
mots Et qu'au lieu de m'étendre sur les fleurs au
bord de l'eau Je pourrais seulement de loin les appeler. Et je ne savais pas que je souffrirais tant En recherchant des mots pour le monde animé Et qu'en s'agenouillant sur les eaux trop
longtemps On attrape de la torture pour des années. Je pensais seulement que dans le corps des
joncs Il y a, juste, des fibres longues, souples,
fortes, De quoi me tresser une nasse frêle et fluette Où je me croyais sûr de ne jamais rien
prendre. O Dieu si bon de mes années d'enfant, Dieu vénéré de mes aurores claires, Est-il vrai qu'en ma vie nulle menthe sur
l'étang Ne fera plus l'odorante et la fière ? Est-ce ainsi que pour toujours de toute chose
J'arracherais des mots dans ma désespérance Et que jamais, jamais, je ne dois plus revoir
Le jonc, le simple jonc de tous les jours? |
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Armand Robin, Mesures, janvier
1939. Texte présenté en version bilingue. La note suivante introduisait un ensemble de 3 textes en français : Etonnements du traducteur et les 2 poèmes de Tuwim : L'arbre inconnu et Les Joncs. |