L'arbre inconnu Stephan Zeromski. Où es-tu, arbre
puissant et fier, Ample en
ramures,
bruissant de feuilles, Avec ton nœud de
racines qui pousse dans la terre, O toi, mon
arbre, qui
fera mon cercueil ? Il me faut te
connaître, palper ton corps rugueux, T'appeler par
les bois,
te héler par les halliers ! Où es-tu, arbre
secret,
arbre cercueilleux ? Ton compagnon de
lit
est venu te chercher, Il ne peut pas y
distinguer son arbre. Fais-moi un
bruit, un
bruit léger pour notre éternité, Avant que je me
couche
avec toi pour sommeiller. Vrai, ne
devons-nous
pas nous entendre à l'avance Pour ces travaux
de la
mort, si difficiles, Nous qu'en
dehors du
temps doit occuper la tâche De nous changer
en
cendre, en mottes stériles !
Peut-être parmi
les
troncs flottant sur l'eau bleu-ciel Me viens-tu, dur
vogueur, d'une distance immense, Et nous aurons
bien
honte, mon voisin éternel, De n'avoir pas
avant la
mort fait connaissance !
Et peut-être
pousses-tu
juste devant ma porte, Salué tous les
jours et
nul jour reconnu, Et quelque main
peut-être a taillé dans ton écorce Des lettres de
tendresse, un cœur connu.
Longuement, cœur
à
cœur, je bruirais avec toi, Je t'ébranlerais
d'un
vers, je t'émouvrais par une complainte, Pour que tu
m'écartes
cette terre noirâtre Et que tu
fleurisses de
nouveau, étonnement des tombes,
Pour que tu me
greffes
sur toi d'une façon quelconque Et qu'avec une
force
inconnue tu me tires de la glaise. Peut-être un de
mes
nerfs saura s'unir avec la tige Et nous nous
arbrerons
d'un seul jet sur la tombe.
Peut-être par un
immense soupir de la glèbe La Terre verte
nous
portera bien haut, La Terre, la
Terre
unique, la Terre du berceau, Blessée en plein
cœur
par cette tombe.
Juljan TUWIM
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Armand Robin, Mesures, janvier 1939.
Texte présenté en version bilingue. La note suivante introduisait un ensemble de 3 textes en français : Etonnements du traducteur et les 2 poèmes de Tuwim : L'arbre inconnu et Les Joncs. |