Stephan
ZWEIG : Le chandelier enterré
La première de ces trois « légendes » donne son titre au recueil
; mais nul dieu ou démon n'y agit ; il n'y a de combat qu'avec un objet, la menorah ;
encore se résout-il par l'attente, une attente de 80 ans ; si peu d'inquiétude trouble
et gêne l'esprit de Zweig. Les deux suivantes au contraire - l'une inspirée de la Bible,
l'autre des livres hindous - montent d'idée en idée jusqu'à cette densité angoissante
où Zweig se pose tranquillement et d'où il s'évapore plus tranquillement encore, sans
trace pour nous comme pour lui. Brefs enchantements auxquels se dévoue le plus fugitif
des firmaments : le Destin généralement nocturne, change avec l'élégante et tragique
rapidité d'un nuage : on le regarde naître, errer, et se dissoudre, avec un air de
s'unir à l'éternel dans le néant vigoureux du vent qui l'a porté.
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La légende
de Virata semble trahir et fixer enfin la hantise essentielle de Zweig ; cet enchanteur
versatile s'obstine à damner les purs ; il les aime, les envie, les admire et surtout les
méprise ; dans ses biographies de Nietzsche et Holderlin, il guettait, secrètement
déçu de prévoir que ses héros échapperaient par la gloire à sa malédiction ; il les
louait avec ressentiment, exaltait avec irritation ces élus chassés du paradis des
mesquineries ; fasciné par ces anges « éblouissants de blancheur» (dernières pages de
la vie de Holderlin), il désespérait de n'avoir pu saccager que leur plus douloureux
secret, de n'avoir pu détruire leur nom. Dans l'imaginaire, il prend enfin sa revanche.
Il accule le plus grand des guerriers, des juges et des saints, à des prodiges de vertu
si monstrueux que tous, même ses chiens, abandonnent et oublient -« ce Virata dont le
nom n'est point inscrit dans les chroniques des princes ni mentionné dans le livre des
sages ».
Zweig ne sera pas libéré et devra haïr jusqu'à son dernier
instant le génie qu'il porte et qui l'aime ; la pratique de la psychanalyse a créé en
lui, de toutes pièces, un état psychanalytique ; en lui enseignant que de trop grands
dons sont parfois malédiction intime, elle l'a persuadé qu'il faut toujours les
craindre. Mais le génie n'a pas à s'effrayer de soi-même, si douloureux soit-il ; la
sécurité, que Zweig demande en vain à des exorcismes, il peut se l'assurer par sa
lucidité et surtout par sa fermeté ; s'il engendre l'inquiétude, il engendre aussi la
force. |