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Armand Robin :
critique à la revue Esprit : 1937-1940

- André Suarès Trois grands vivants 05 / 1938 -

 

André SUARÈS : Trois grands vivants (N.R.F.)

 Vivants, sans doute, inhumains, sûrement : aucun mortel ne compte pour André Suarès, presque aucun immortel non plus ; rares sont les dieux qui lui semblent avoir véritablement possédé la vie ; encore harcèle-t-il de son enthousiasme ces miraculeux élus : il s'impatiente de leur lenteur à grandir, les pousse de toute sa force vers un destin plus âpre, s'irrite de leurs prudences, très tendrement, à la celtique ; André Suarès veut que le divin pousse rapidement.

Cette critique mystique ignore les personnes, néglige les inspirations, culbute les œuvres. Elle tient pour hasard mesquin du talent ou de l'humeur cela même que l'on admire communément. Au-delà de l'inspiration elle découvre un règne plus pur, plus difficile, où le plus vrai génie n'a pu peut-être se tenir que quelques instants, et de ce règne de trop divine lucidité elle veut faire la demeure permanente de l'esprit. Or la Beauté ne peut avoir de coutumes, elle, la provisoire, la changeante : d'où peut-être cette impression de malaise dont Suarès ne nous délivre jamais entièrement : il veut asservir le miracle à un programme.

 

C'est un projet en soi réalisable que de réunir dans une même fraternité Cervantès, Baudelaire et Tolstoï et d'accorder à leur voisinage une efficacité mythique ; ces trois héros de l'art et de la pensée peuvent hors du temps et de l'espace dessiner les lignes pures de l'ordre européen. Synthèse plus divinement qu'humainement parfaite : que les anges applaudissent! Il y a par ailleurs une telle chaleur dans le souffle de Suarès qu'elle ne peut sur notre terre que convaincre et se faire aimer.

Armand Robin Esprit, mai 1938

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