André SUARÈS : Trois grands vivants (N.R.F.)
Vivants, sans doute, inhumains, sûrement : aucun mortel ne
compte pour André Suarès, presque aucun immortel non plus ; rares sont les dieux qui lui
semblent avoir véritablement possédé la vie ; encore harcèle-t-il de son enthousiasme
ces miraculeux élus : il s'impatiente de leur lenteur à grandir, les pousse de toute sa
force vers un destin plus âpre, s'irrite de leurs prudences, très tendrement, à la
celtique ; André Suarès veut que le divin pousse rapidement.
Cette critique mystique ignore les personnes, néglige les
inspirations, culbute les uvres. Elle tient pour hasard mesquin du talent ou de
l'humeur cela même que l'on admire communément. Au-delà de l'inspiration elle découvre
un règne plus pur, plus difficile, où le plus vrai génie n'a pu peut-être se tenir que
quelques instants, et de ce règne de trop divine lucidité elle veut faire la demeure
permanente de l'esprit. Or la Beauté ne peut avoir de coutumes, elle, la provisoire, la
changeante : d'où peut-être cette impression de malaise dont Suarès ne nous délivre
jamais entièrement : il veut asservir le miracle à un programme. |
C'est un projet en soi
réalisable que de réunir dans une même fraternité Cervantès, Baudelaire et Tolstoï
et d'accorder à leur voisinage une efficacité mythique ; ces trois héros de l'art et de
la pensée peuvent hors du temps et de l'espace dessiner les lignes pures de l'ordre
européen. Synthèse plus divinement qu'humainement parfaite : que les anges
applaudissent! Il y a par ailleurs une telle chaleur dans le souffle de Suarès qu'elle ne
peut sur notre terre que convaincre et se faire aimer. |