AIRS DE RONDE POUR LUTINS (1)
Pour
prendre un souvenir sur terre, - ce fut dans le très vieux temps,
Je
pris gîte sur cette route et j'y guettais tous les passants.
Le
premier siècle je fus bruyère, ajonc, genêt, églantier blanc,
Ce
fut au siècle où je fus saule que je vis celle que j'aime tant.
Dans
ses regards bougeait clarté pour cent fontaines de printemps
Et
dans ses mains grâce plus frêle qu'en feuilles de trèfles d'étang.
C'était
par bon soleil de Pâques ; j'étais moi-même tintillonnant ;
Tintillonnez,
siècles passés! depuis j'ai mal plus qu'un dément.
«
De Plounévez à Haut-Corlay j'ai pendant quatre lieues pleuré !
«
Mon Dieu, ayez pitié, aidez le fiancé qui m'a trompée ! »
-
« Regarde, amie, Pâques fleurit et je suis là pour vous fêter!
-
« Dieu, comme il fait beau jour de fête, beau jour de fête pour pleurer ! »
-
« C'est vous que j'aime, lui murmurais-je avec ma voix de prés, de haies !
«
Partout où l'herbe peut parler je serai là pour vous aider ! »
(1) Extrait dun recueil de poèmes à paraître
chez Gallimard sous le titre « Ma vie sans moi ».
Seule la 1ère page
a pu être vérifiée sur lédition originale dEsprit. C'est
donc la version de Ma Vie sans moi qui constitue la 2e page. |
-
«Toute ma vie j'en souffrirai! Toute ma vie je sourirai
«
Et prierai pour que soit gai le fiancé qui m'a blessée. »
Elle
partit en souriant ! Tintillonnez, siècles passés !
Je
la revis toujours priant ! Tourne, tourne, tournez, années !
J'ai
su l'aimer douze cents ans. Bien plus longtemps je souffrirai
Ce
fut au siècle où je fus vent que j'eus bien peur de l'oublier.
Contre
mon pauvre souvenir
Je
voudrais quatre rubans roses
Pour
conduire l'aurore aux fées
Et
dès minuit quarante roses
Pour
loger toute la rosée.
Et
je voudrais cent mille images,
Des
mots pour aubes sans espoir
Et
ces légendes pour dieux sages
Que
les grands vents mêlent le soir
Aux
lais des landes sans village.
*
A
la suite de qui j'aime je devins fou, il y a longtemps
Au
bord d'une fontaine vous me trouverez chantant.
M'apportez-vous
messages d'Elle, aubépines de ce printemps ?
En
quel pays parmi les mortes souffre celle que j'aime tant ?
Dans
ce dernier de tous mes siècles je peine avec les paysans :
Doux
bûcheron du clair de lune, j'entasse des copeaux d'argent,
Sans
espoir j'en fais des clairières. Je ne dois plus dorénavant
Saisir
un souvenir sur terre. Pour m'égayer j'ai fait ce chant. |