A son arrivée à Lyon en1932, Armand Robin se met à apprendre le russe:
cette langue ne le quittera plus. Dès 1933, il effectue un voyage en U.R.S.S. pendant
lequel il fait la moisson dans un kolkhoze, dit-on.
De ce voyage, qui a une importance capitale, il ne reste que peu de traces: une carte
postale expédiée à un ami d'enfance de Rostrenen où il parle du "pays où le
peuple est roi". A un camarade de khâgne qui l'interroge là-dessus, il répond
laconiquement: "Tout n'est pas parfait".
Le point de vue le plus intéressant et le plus complet est une lettre à Jean Guéhenno,
nettement postérieure, où il exprime sa déception mais veut encore la considérer comme
un événement purement intime. Voir aussi La Fausse Parole, où il parle de ses
"jours indiciblement douloureux en Russie", qui sont à l'origine de ses
écoutes de radios et de sa lutte contre les propagandes. Peu de traces donc, mais une vie
entière qui bascule, lentement. "J'ai mis longtemps à en revenir", dira-t-il,
toujours à J. Guéhenno. Déception donc pour ce qui est de la situation du peuple russe,
mais extrême sensibilité à tout ce qui pourra arriver là-bas.
Le russe est la langue qu'il écoute le plus à la radio. Il aime à la traduire et à
traduire ses écrivains: Maïakovski, Pasternak (peu connu à l'époque), Blok et surtout
Essénine qui l'accompagne depuis le début. Plus tard il y aura aussi Remizov et
Lermontov.
LA PLUS CONSTANTE DE MES NON-PATRIES
En cette langue je me suis senti délivré, accompagné;
après une longue quête, je rencontrais des mots frais, violents et touchants,
frissonnants d'une tendre barbarie encore mal domptée. Presque tout ce que j'avais à
dire, d'autres, sur cette terre de victimes bafouées, l'avaient crié avant moi. J'entrai
avec fougue dans cette tempête, devins chose de cet ouragan; de vastes écroulements me
précipitèrent. Aujourd'hui encore, au moment de quitter ces poèmes, je reste loin de ma
vie, crucifié sur les steppes.
LA CONFESSION D'UN VOYOU
(...) C'est un plaisir pour moi quand les pierres de
l'insulte
Vers moi volent, grêlons d'un orage pétant.
Je me contente alors de serrer plus fortement
De mes mains la vessie oscillante de mes cheveux.
C'est alors qu'il fait si bon se souvenir
D'un étang couvert d'herbe et du rauque son de l'aulne
Et d'un père, d'une mère à moi qui vivent quelque part,
Qui se fichent pas mal de tous mes poèmes,
Qui m'aiment comme un champ, comme de la chair,
Comme la fluette pluie printanière qui rnollit le sol vert.
Ils viendraient avec leurs fourches vous égorger
Pour chaque injure de vous contre moi lancée. (...)
Quatre Poètes russes : Essénine
Sur la difficulté à traduire Essénine, voir aussi deux
lettres à Jean Paulhan (1937)
Le recueil Quatre Poètes russes (en version bilingue) est
publié aujourd'hui par Georges Monti aux éditions Le Temps qu'il fait, Cognac.
Divers poèmes de Pasternak et Lermontov figurent dans Ecrits Oubliés II,
traductions; Savva Groudzine de Remizov a été
réédité. Tous deux figurent au catalogue d'Ubacs, BP 741 35010 Rennes, et sont
diffusés par coopbreizh@wanadoo.fr