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Armand Robin: la correspondance

deux lettres à Jean Paulhan 1937

5 avril 1937

Cher Paulhan

Je suis content cette fois: je vous ai traduit le poème peut-être le plus beau d'Essénine: lisez-le: vous verrez comment on peut transfigurer le terrestre.

Maintenant, je dois vous dire que j'étais loin d'être satisfait de la traduction des poèmes que je vous avais montrée l'autre jour; heureusement j'avais pris le soin de vous inscrire le texte russe à côté, de sorte qu'un Russe a pu, je l'espère, vous avertir mieux que moi de l'imperfection de ma traduction. Vous trouverez ici de nouveau cette traduction, corrigée.

Je suis content cette fois de ces deux traductions; vous savez que je dis, comme c'est, ce qui me semble être pour ou contre moi et vraiment cette fois-ci je crois pouvoir dire que mes deux traductions sont à peu près irréprochables. Le détail qui m'a donné le plus de peine était de transposer en français les assonances (mêlées parfois de rimes) du texte russe, en gardant les mêmes intervalles et en conquérant le même timbre.

Et maintenant je vais travailler. Veuillez croire, Monsieur Paulhan, à mes sentiments très cordiaux et respectueux.

Armand Robin,

24 rue des Fossés Saint Jacques 5e

P.S. La traduction du plus long poème "la pluie..." est malgré les apparences, entièrement littérale: résultat qui m'a coûté beaucoup de peine. Le petit poème, lui, est traduit selon une méthode qui se rapprocherait beaucoup de celle de Jean Prévost, avec peut-être une interprétation moins constructive.

3 juin 1937

Cher Paulhan,

Je prends plaisir à vous communiquer ce nouveau poème d'Essénine.

Je désire une traduction qui soit à la fois création totale et fidélité totale. Que chaque expression jaillisse de la chair du traducteur comme elle était jaillie une première fois de celle du poète!

Y ai-je réussi? Je ne le crois pas et suis désespéré. Vraiment.

Le texte que je vous envoie suit absolument mot à mot le texte, sauf pour deux termes; j'ai tâché de suivre l'angoisse du rythme russe et d'osciller comme elle, comme ce cadran lunaire, entre la 8e et la 11e syllabe; enfin j'ai essayé de trouver les mots français dont la sonorité rappelle celle des mots russes correspondants; j'aurais voulu aussi que les rimes et assonances soient les mêmes qu'en russe; je n'y ai réussi qu'une fois sur deux.

Je vous envoie un autre exemplaire du dernier poème d'Essénine que je vous avais communiqué; j'y avais laissé une faute dactylographique: Russie de bois pour Russie des bois.

Quant au tout premier: J'ai plaqué ma maison natale, je suis d'avis qu'on ne le fasse pas paraître, car ma traduction est franchement détestable, quels que puissent être les éloges que lui a donnés B. Parain.

Je ne pourrai pas, avant quelques mois, continuer ces traductions, car me voici violemment emporté vers moi-même, laissant Essénine seul parmi ses impérissables compagnons, les arbres. Il me semble d'ailleurs que ces deux poèmes suffiraient déjà à faire naître un peu d'amour pour Essénine. J'en serais infiniment heureux.

J'ai lu dans la NRF de juin le compte-rendu sur "Mesures". J'avais beaucoup craint que mon nom y fût cité; ce silence m'a rempli de joie; j'espère qu'il se reproduira souvent, qu'on épargnera ainsi de mêler mon nom à celui des autres et qu'on me laissera préparer, au-dessus et au-delà de mes contemporains, une Beauté éternelle. J'aurais volontiers écrit une lettre de remerciement à l'auteur de l'article, car je lui suis très reconnaissant, mais j'ai bien peur qu'il ne comprenne pas.

Une autre chose aussi très heureuse, Cher Paulhan: j'avais un père qui m'avait chassé de chez lui; mais il a vu ce qu'il appelle mes "fables", et maintenant il a commencé à comprendre. J'en suis très joyeux, car je l'aime beaucoup et n'ai pu jamais lui en vouloir de tout ce qu'il m'a fait; je suis même infiniment touché de songer qu'il a appris à lire et écrire à cause de moi.

J'irai vous voir vendredi. Vous me pardonnerez si, comme à mon ordinaire, je ne vous confierais que du silence; pour que je puisse parler, il faudrait anéantir tous les moments de ma vie passée.

Croyez, Monsieur Paulhan, à mes sentiments respectueux et très cordiaux.

Armand Robin

Les lettres d'Armand Robin à Jean Paulhan sont complètement inédites. Une édition est en cours avec Thierry Gillyboeuf