QUELQUES NOTES
- Boris Pasternak est né en 1890; il publia ses premiers poèmes en 1913. Très violemment attaqué pendant une dizaine d'années par les littérateurs officiels, proclamé en 1934 « le plus grand poète de l'U.R.S.S. " ; garda cependant mauvais caractère à l'égard de l'État; interdit en U.R.S.S. en 1946.
-« Vous n'aurez aucune efficacité en agissant comme vous faites! » me disent certains. Je ne peux accepter l'idée d'"efficacité"; un acte de l'Esprit ne doit avoir d'autre origine, d'autre moyen, d'autre but, d'autre appui que l'Esprit.
-« Vous vous contraignez à de trop grands sacrifices », me disent d'autres. Cela n'est pas vrai: connaissant une vingtaine de langues dites « étrangères », je gagne très bien, donc injustement, ma vie dans une époque où règne la misère; je serais le dernier des derniers si je gardais pour moi cette chance; cette chance est le bien de tous les autres travailleurs et non pas ma propriété.
-« Nous sommes prêts à vous pardonner vos erreurs passées et à fêter votre retour parmi nous; nous ne voulons pas que vous soyez si malheureux ! », me suggèrent quelques séducteurs. Mes « erreurs passées » furent de refuser avec obstination toute trahison envers les idées authentiques d'extrême-gauche qui furent, sont et resteront les miennes; je suis fier de ces « erreurs » et je m'y tiendrai.
Je me suis donné bien du mal, il y a deux ans, pour obtenir que les malins et les couards me condamnent; je conterai quelque jour combien je dus me démener pour être admis à figurer, deux mois après tous les autres, sur la « liste noire des écrivains ». Et j'irais maintenant perdre cet avantage?
- Trois de ces poèmes furent publiés en 1943 dans la « Nouvelle Revue Française" du regretté Drieu La Rochelle. Je profite de l'occasion qui m'est offerte pour dire que cet homme, dont les idées étaient diamétralement opposées aux miennes, fut et est mon ami. Je n'ai pas eu le privilège d'une belle éducation bourgeoise et je n'ai jamais pu apprendre que le devoir du citoyen est de vouloir la mort de qui ne pense pas exactement comme lui; j'exprime ici publiquement mon regret de n'avoir pas donné de plus grandes marques d'affection, pendant qu'il en était encore temps, à cet homme que guettait un sort injuste.
A propos de Boris Pasternak je publiai en 1943, dans cette même « Nouvelle Revue Française » quelques pages où je témoignai d'une certaine dilection pour la Russie stalinienne. Que les prolétaires russes ne me le reprochent pas: ce n'était de ma part que recette pour accroître un danger; j'étais cette année-là sans cesse ridiculement menacé par de ridicules manieurs de revolvers; il me parut excellent d'être davantage menacé et de publier très exactement ce qu'on voulait le plus interdire. J'espère bien continuer toujours ainsi; ce siècle de terreurs est un siècle miraculeux pour qui justement se rit des terreurs. Messieurs les inventeurs de dangers, je suis d'avance votre client.
A.R., octobre 1946