Dans
un style qui rappelle Mallarmé, notre ami Armand Robin a écrit, spécialement pour « Le
Monde Libertaire » ce poème que nous sommes heureux de vous faire connaître.
Je suis sorti à cinq heures du matin; j'ai vu Dieu dans tous les arbres;
Il était heureux, il se frottait les branches
Dans le vent léger, demi-tiède d'avril ;
Pour lui pas de querelles dans le chamaillis des chants d'oiseaux;
J'étais heureux de le voir heureux.
Il était tout gosse, mais il avait grande allure
Sur au moins trois kilomètres, vu de ces coteaux.
Pourquoi même des poètes ont dit qu'il était vieux ?
Cet enfant ne sait même pas qu'il va avoir à travailler !
J'avais envie de l'inviter à jouer aux billes ;
Dans la rue à cette heure nous n'aurions dérangé personne
(Sauf peut-être un camionneur, mais content d'être retardé !)
Et cela n'aurait rien changé à sa fierté,
Fierté feuille par feuille d'arbre en arbre appuyée.
Il était heureux, il était heureux d'être Dieu
Pour lui sur les étangs pas de fureur entre canards gris et poules d'eau ;
Par les rues, puis par les bois, je fus heureux
De le voir heureux d'être Dieu.
A six heures dans la clairière nous avons joué aux billes
Au bord des eaux ! Le soleil, son soleil, était une mutine bille
Qu'en vain les feuillages voulaient attraper, qui se jouait des feuillages ;
Et ces deux étangs étaient des billes, de belles et fragiles billes ;
Le ciel sur les eaux et le ciel sous les eaux formait une bille ;
Dieu, tout heureux, admirait cette bille,
Ne touchait pas à cette bille.
Le plus vif militant communiste de ces bois, celui qui court de bon matin
Cueillir aux pieds des troncs moisis le champignon dit « trompette de la mort »,
Agaric alsacien par les vents adopté séverin,
S'est arrêté pour nous regarder gaminer.
Je savais bien qu'il aimerait voir des gamins gaminer :
Je l'ai surpris il y a trois mois sourire à un cheval qui humainement lui souriait ;
Nous lui avons, nous deux chevaux, proposé de jouer aux billes ;
Il n'a pas voulu du soleil, il n'a pas voulu des eaux,
Il n'a voulu d'aucune bille : « Pas de bille, a dit le Parti. »
A Jany, Monique, Hélène, Thérèse, j'en ai parlé ;
Elles iront toutes les quatre, chacune de son côté,
Tout en faisant leurs courses, regarder,
Le nez très en l'air, les arbres frais.
Pour finir je voudrais qu'elles aillent chez le quincailler.
Armand Robin, Le Monde Libertaire, N° 38, mai
1958