Vous ne sentez pas tous que vous sentez un peu
le sang ?
Si pour tuer parmi vous un brigand
Vous salissez en lui non le crime, mais l'âme,
Plus que lui vous devenez brigands
Et c'est le brigand qui vous aura tués.
Si vous laissez tuer sans protester
Un innocent,
Un seul innocent,
Plus un seul d'entre vous n'est innocent,
Et vous serez tués sans qu'il y ait rien pour protester.
Si vous ne sauvez pas les justes, rien ne viendra vous sauver.
Si vous raillez un vaincu, plus que lui vous serez vaincus;
Si vous désespérez des âmes, votre âme sera désespérée;
Si vous affamez les esprits, votre esprit sera langue affamée;
Vous serez dépouillés, si vous songez à dépouiller;
Si vous êtes vengeance, une vengeance contre vous a déjà commencé;
Si vous faites le mal pour punir le mal, vous devenez le mal.
Je vous parle très fort parce qu'effrayant est ce que je VOIS,
Que tous les signes sont rassemblés,
Qu'un destin me contraint de proclamer
D'une folle, terrible, implacable voix
Ce que je VOIS.
Je voudrais trouver pour vous des mots non truqués
Pour que dans l'imminente épouvante vous soyez tous un peu aidés;
Je voudrais éviter que dans le silence abominable tous vous mourriez.
Vous venez tous d'entrer dans l'ère du Grand Forfait;
Vous allez vous trouver devant l'HOMME assassiné.
Votre assassinat vient de commencer;
Déjà sans le savoir vous êtes tous assassinés.
Armand Robin
(Les Poèmes indésirables.)
Le Libertaire, le 20 novembre 1945