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Armand Robin: l'oeuvre libertaire

Lettre à la société anonyme Librairie Gallimard 10/1945

 

A la société anonyme Librairie Gallimard

5, rue Sébastien-Bottin, Paris

L’organisation fasciste dit « Comité National des Ecrivains » a fait publier dans le numéro du 6 octobre des « Lettres Françaises » un communiqué où il est dit notamment :

« Les éditeurs unanimes tinrent scrupuleusement compte de la position morale prise par le CNE et ne publièrent aucun livre des auteurs mis en cause par le comité. »

Je prends acte du fait que vous avez obéi aux ordres d’un organisme réactionnaire, aucunement qualifié pour juger de poésie ; je prends acte aussi du fait qu’à plusieurs reprises il m’a été répondu dans votre maison que vous ne leur obéissiez pas ; la première attitude est une servilité, la seconde est une duplicité.

Vous saviez que je fus porté sur la liste noire du CNE, uniquement parce que venu du peuple, j’ai refusé de trahir le peuple, parce que j’ai su résister à tous ceux qui ont voulu m’embourgeoiser ou me staliniser, parce qu’enfin j’ai refusé de participer à l’entreprise qui restera dans l’histoire littéraire sous le nom de « déshonneur des poètes ». En vous solidarisant avec le CNE à mon sujet (j’avais depuis juillet 1944 un manuscrit chez vous, vous pouviez le publier), vous vous êtes solidarisé avec ceux qui ne craignent rien tant que l’apparition d’un poète révolutionnaire venu vraiment du peuple, avec ceux qui ont tenté de caporaliser la vie littéraire de ce pays, avec ceux pour qui les idées de gauche sont un cauchemar et qui pardonnent plus volontiers à un maurassien qu’à un trotskyste et à un anarchiste.

D’autre part j’ai appris peu à peu que, pendant des années, une campagne de calomnies, de propos fabriqués de toutes pièces, à interprétations ridicules, de rumeurs extravagantes, de contre-vérités absurdes, a été systématiquement menée contre moi dans certains milieux de la NRF ; Queneau m’a fait à ce sujet plusieurs réflexions qui témoignent de la plus parfaite sottise et que je me charge de révéler en temps opportun ; j’ajoute que j’ai acquis la conviction que, parce que je veux rester peuple, quelqu’un dans votre maison a fait le mouchard contre moi au profit du parti réactionnaire stalinien.

En conséquence j’ai le regret de vous informer que je considère rompu le contrat qui me liait à vous. En outre, désirant éviter de voir mon œuvre publiée dans une maison qui visiblement est de plus en plus asservie au parti de la contre-révolution, je reprendrai la liberté de publier ailleurs les deux livres que j’ai déjà édités chez vous.

Je tiens à préciser que la personne même de Gaston Gallimard n’est aucunement visée par cette lettre ; c’est un homme dont je n’ai jamais eu à me plaindre, que j’estime beaucoup ; je regrette que la justice ne me permette pas en cette circonstance de m’arrêter à mon amitié pour lui.

Armand Robin

 

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