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Armand Robin: l'oeuvre libertaire

*   SERGE ESSENINE  *

Le plus tragique peut-être de la série exceptionnellement douloureuse de grands poètes qu'a connus la Russie depuis 1917.
Né en 1895 dans une famille de paysans de la région de Riazan. Premiers poèmes publiés en 1914. La fraîcheur, la simplicité, le " total manque d'apprêt " de son talent lui valurent une prompte et éclatante célébrité qui fut d'ailleurs pour lui plutôt une source de souffrances. Le caractère implacable du monde russe de l'après-révolution bolchevique, la perception que tout ce qu'il aimait chanter allait être " mécanisé ", un mariage malheureux avec la danseuse Isadora
Duncan, une vie tumultueuse de " houligan " le transformèrent rapidement  en " homme noir " (titre de son dernier recueil) ; qui était par excellence du poète " spontané ", il se sentit pour ainsi dire " interdit " et " réprimé " : En cette ère mon chant ne peut vivre ! criait-il dès 1919 (De profundis quarante fois !). Il se suicida en 1925.
Nous avons choisi à l'intention des lecteurs du Libertaire celui des poèmes d'Essénine que les Russes aiment peut-être le plus. La traduction est rigoureusement littérale ; elle fait partie d'un recueil de traductions de poèmes de Blok, Essénine, Maïakowsky et Pasternak à paraître aux Editions du seuil.

A.R.

LA CONFESSION D'UN VOYOU

Ce n'est pas tout un chacun qui peut chanter.
Ce n'est pas à tout homme qu'est donné d'être pomme
Tombant aux pieds d'autrui.
Ci-après la toute ultime confession,
Confession dont un voyou vous fait profession.
C'est exprès que je circule, non peigné,
Ma tête comme une lampe à pétrole sur mes épaules.
Dans les ténèbres il me plaît d'illuminer
L'automne sans feuillage de vos âmes.
C'est un plaisir pour moi quand les pierres de l'insulte
Vers moi volent, grêlons d'un orage pétant.
Je me contente alors de serrer plus fortement
De mes mains la vessie oscillante de mes cheveux.
C'est alors qu'il fait bon se souvenir
D'un étang couvert d'herbe et du rauque son de l'aulne
Et d'un père, d'une mère à moi qui vivent quelque part,
Qui se fichent pas mal de tous mes poèmes,
Qui m'aiment comme un champ, comme de la chair,
Comme la fluette pluie printanière qui mollit le sol vert.
Ils viendraient avec leurs fourches vous égorger
Pour chaque injure de vous contre moi lancée.
Pauvres, pauvres paysans !
Sans doute vous êtes devenus pas jolis
Et toujours vous craignez Dieu et les poitrines des marécages.
Oh ! si seulement
Vous pouviez comprendre qu'en Russie votre enfant
Est le meilleur poète.
Craignant pour sa vie, n'aviez-vous pas du givre au cœur
Lorsqu'il trempait ses pieds nus dans les flaques d'automne?
Il se promène en haut de forme aujourd'hui
Et en souliers vernis.
Mais en lui vit toujours l'inconvenance de l'ancienne
Souche de farceur villageois.
A chaque vache à l'enseigne des boucheries
Il commence de loin à faire son compliment;
Et quand il rencontre un cocher sur la grand'place,
Il est prêt à porter la queue de chaque jument
Comme la traîne d'une robe d'épousée.
J'aime ma Russie.
J'aime immensément ma Russie.
Bien qu'en elle la rouille de la tristesse se penche en saule.
Et dans ma douceur, la gueule sale des cochons
Et dans la paix des nuits, la voix sonore des crapauds,
Je suis tendrement malade de souvenirs d'enfance,
La torpeur, la moiteur des soirs d'avril hantent mes songes.
On dirait que notre érable pour se chauffer
S'accroupit devant le brasier de l'aube.
O quantes fois aux branches, grimpé j'ai
Pour dénicher ou la pie ou le geai !
Est-il toujours le même, le chef tout en verdure?
Et son écorce comme jadis est-elle dure?
Et toi, mon ami,
Mon fidèle chien tacheté?
La vieillesse t'a fait glapissant, aveugle,
Et tu traînes par la cour, tirant ta queue pendante
Et le flair oublieux des portes et de l'étable.
Oh! qu'ils me sont chers tous nos jeux de gamins:
A ma mère je volais un quignon de pain
Et nous y mordions tous les deux tour à tour
Sans jamais nous dégoûter l'un de l'autre !
Je n'ai pas changé.
Comme cœur je n'ai pas changé.
En bleuets dans les blés mes yeux fleurissent dans mon visage
Étalant, paille dorée, la natte de mes poèmes,
J'ai envie de vous dire quelque chose de doux:
" Bonne nuit !
" A vous tous, bonne nuit ! "
Sur le pré crépusculaire la faux rouge du couchant
Ne tinte plus. Aujourd'hui me prend envie
De pisser par la fenêtre sur la lune.
La lumière est bleue, d'un tel bleu !
Dans un tel bleu même mourir ne serait pas un mal.
Qu'importe si j'ai l'air d'un cynique
Qui s'est accroché une lanterne au derrière !
Vieil et brave Pégase harassé,
Ai-je besoin de ton mou trottinement?
Ma caboche, tel un mois d'août, va s'écoulant
Goutte à goutte en vin de cheveux écumants.
Je veux être la jaune voile
Tendue vers ce pays vers qui nous faisons voile.

Serge Essénine, traduction Armand Robin, Quatre poètes russes, Le Libertaire 25 décembre 1947

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