robin_index.gif (9504 octets)

chrono.gif (1744 octets) poesie.gif (2192 octets) roman.gif (1868 octets) traduction.gif (2450 octets) critique.gif (1979 octets) ecoutes.gif (2186 octets)
icono.gif (2534 octets) proses.gif (2040 octets) lettres.gif (2171 octets) theatre.gif (2064 octets) radio.gif (1706 octets) voix.gif (1867 octets)

logo_robin.jpg (4017 octets)

biblio.gif (1004 octets)
temoins.gif (1901 octets)
contact.gif (1838 octets)

Armand Robin: l'oeuvre libertaire

*   Lettre à Paul Eluard  30/12/1944 *

 

C’est la fin de l’année. J’ai décidé de vous faire des étrennes.


     Je ne veux pas être méchant envers vous et la seule vengeance que j’aie conçue à votre sujet ne sera pas très terrible; et personne n’en saura rien, à part Paulhan à qui j'envoie un double de cette lettre *** (à moins évidemment que vous ne vous mettiez encore à répandre sur mon compte des sottises dans tous les milieux bourgeois).


     Quelques jours après que le CNE a pris à mon sujet cette admirable décision, je vous ai téléphoné malgré notre brouille; je trouvais en effet que l’intérêt du CNE était de revenir sur cette décision et j’ai accepté des démarches pour lui permettre de le faire. J’ai vu que certains voyaient de ma part une démarche faite dans mon intérêt personnel ; j’en ai donc eu assez et j’ai complètement tout laissé tomber ; tant pis pour les spécialistes de l’absurde !


     Mais dans ce que vous m’avez dit au téléphone il y avait quelque chose qui m’a été révélateur ; vous m’avez dit : « Et restez tranquille ! sinon nous fouillerons dans vos autres activités ! » - Je n’ai pas compris sur le moment puis j’ai peu à peu rapproché cette phrase de certains propos très étonnants qu’on tenait sur mon compte et qui m’ont littéralement abasourdi ; je me suis découvert, dans les propos des littérateurs, coupable d’une quantité d’actes que j’ignorais absolument et pour cause !
     J’ai trop de travail à faire pour entrer dans des explications et d’ailleurs (à tort peut-être) il y a bientôt trois ans qu’il m’avait été recommandé de ne jamais rien confier dans ces milieux littéraires.
     Je me contenterai de vous apprendre ceci : sous l’occupation allemande, j’avais constitué à moi tout seul un véritable organisme d’informations qui allait dans une bonne dizaine d’organisations pas du tout vichyssoises, je vous prie de le croire. Il n’y a guère eu qu’une interruption de 8 mois dans ce service quand De Brinon, Sordet et d’autres décidèrent d’avoir la tête « de l’être le plus dangereux de Paris » selon leur expression. Je ne demandais pratiquement rien à ces organisations pendant l’occupation et j’ai dû vivre pendant longtemps d’une vie assez dure. Depuis la libération, chacun de ces organismes me paie et d’une façon très large, de sorte que je gagne depuis août environ 30 000 francs par mois (et quand certaines des personnes pour qui je travaillais rentreront d’Allemagne où elles ont été déportées, je serai payé mensuellement quelque 20 000 francs de plus). Le seul organisme dont je n’ai jamais rien accepté, pas même comme fournitures de papier, parce que je tenais et tiens toujours à travailler pour lui gratuitement est le Parti Communiste (pas celui des littérateurs, celui des vrais militants). J’espère que vous commencez maintenant à comprendre quelque chose.


      Il y a quelques semaines enfin le ministère de l’Information, que j’avais dû quitter en juillet 1943 après des dénonciations et toutes sortes d’autres histoires provoquées par le fait que je criais « Vive Lénine ! Vive Staline ! » au passage de ces messieurs d’alors, m’a rappelé que j’aurais dû me représenter pour y reprendre ma place après la Libération : le Ministère de l’Information va me verser une certaine somme pour me dédommager.


      Je vous soupçonne toujours d’avoir répandu à mon sujet un certain nombre de ces bruits absurdes, dont quelques-uns me sont revenus : ils sont tellement idiots que je ne peux pas vous en vouloir ; je reconnais d’ailleurs très volontiers que je m’étais auparavant emporté outre mesure contre vous ; mais, vous, Eluard, vous avez essayé de me faire un mal réel, vous avez usé de tout votre crédit pour répandre sur mon compte des calomnies mettant en jeu mon honneur et même ma vie.


      Pour ce premier de l’an, je vais donc, pour me venger, vous envoyer comme cadeau une partie de la somme que le Ministère de l’Information m’octroie ; ce sera, si vous voulez un « prix », « le prix de la vengeance d’un homme venu du peuple ». Vous pourrez l’employer à donner du travail par exemple à une femme de ménage : la conversation des femmes de ménage est infiniment plus intelligente que celle des riches dames du monde, car les gens du peuple sont supérieurs aux bourgeois : 4 heures de conversation avec un homme du peuple vaut mieux qu’une année de polichinellerie dans un salon (Jacqueline a fini par se convertir en partie au communisme prolétarien et je constate qu’enfin elle préfère les gens du peuple à Lise Deharme et autres réactionnaires).


       Je ne fais pas cela pour vous donner une leçon ou pour vous blesser ; je le fais simplement parce que, découvrant que j’ai été l’objet d’une odieuse campagne de calomnies, je peux vraiment me permettre de trouver un geste qui me libère vis-à-vis d’un des grands responsables de ces calomnies, sans lui f aire de mal véritable. Vous êtes un être passionné, vous avez les injustices de votre passion, vous êtes, en même temps , dans votre vie et dans vos poèmes quelqu’un de très touchant, comment pourrait-on vraiment être contre vous, sauf en vertu de colères provoquées par des propos injustes auxquels vous donnez tout le poids de votre pureté ?


Armand    Robin    

Cette lettre a été envoyée à Paul Eluard au 35 rue de la Chapelle à Paris 18, le 30 décembre 1944, sous enveloppe à  en-tête "Gouvernement Provisoire de la République Française".  Ainsi que l'indique la mention manuscrite, une copie était jointe à un courrier envoyé  à Jean Paulhan le même jour : dans le contexte de son inscription sur la liste noire,  Armand Robin  s'excuse de l'avoir accusé d'avoir répandu des calomnies contre lui. Il désigne le vrai coupable à ses yeux: Eluard : Eluard est un peu responsable. Je ne lui en veux pas ; je désire cependant me venger, gentiment de lui. Voici la lettre que je viens de lui écrire.

*** mention manuscrite sur l'original envoyé à Paul Eluard

Index des textes libertaires