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cahiers du sud
                  avril 1939
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Armand Robin : La poésie

oeuvres de jeunesse


                  


Imagerie de la mer

 

O ma pensée cent mille fois recommencée de vague en vague

Et jamais reposée

Choisis pour blanche récompense

D’être sans fin recomposée.

 

I

Mer, ô longue conteuse de légendes sans paroles,

Aux haltes des eaux dures où brillent nos destins,

Parmi ton bruit flottant souple au creux de nos vents

Terreux,

Autrefois, sommeillant à l’ombre du malheur,

C’est ma propre rumeur que j’écoutais, geignante,

S’ouvrir en éventail au-dessus de ma vie.

 

Minuit ! Flots acharnés de la pensée en peine,

Glapissant et hurlant dans les crevasses d’ombre

Et se tordant d’horreur sur des hordes de rocs,

Sans pouvoir fracasser la grotte aux cauchemars ! (*)

 

Au crépuscule,

De houle en houle,

Ton visage ridé que des siècles d’orages

Ont usé, se consume sans réponse en complaintes d’esclave,

-         De l’esclave que l’an dernier j’aidais à mourir dans mon village,

Et qui fixait, bleus sur l’espace qu’une seule heure allait durcir,

De grands yeux presque humains à force de souffrir.

 

La main que nous allonge cette autre vague douce et pure,

Au pays de mon enfance mes camarades mal vêtus

L’avançaient en grand silence pour conquérir sur les talus

Les premières mûres vite muries de leurs beaux jours.

En vos âmes déjà vogue l’amour :

Oh ne vous hâtez pas : la Vie est sûre.

Mais non loin d’eux mon frère à la lisière de ses labours

Pleurait dans les fougères sa douce récolte perdue,

En cachette ; et son automne d’espérance s’était tu,

Telle cette onde soudain gisante en flaques sans murmures.

Morte est la vague douce et sûre :

Oh cachez-vous :  la Vie est dure.

 

II

Mer, ô vagabonde impatiente d’autres mondes,

Au départ des eaux dures où dansent nos destins,

Parmi ton bruit montant d’un bond vers notre ciel

Terreux,

J’ai, fier veilleur, guetté l’offre d’un chant plus libre

Et, droit devant les rives que de vastes vents ivres

Echevèlent jusqu’à ma tête réjouie,

Attendu que se gonfle au loin l’appel des îles.

D’âpres souffles aux houles ont mêlé les images

Qui croisent en mes yeux dès que je dis : « Je vis »,

Puis les ont en roulant blanchies dans ton écume,

Soudain délicieuses comme tes vagues les plus fines.

Et mes regards, ternis d’avoir longtemps haï

L’amertume incarnée aux plis des doigts vieillis,

Je les ai lentement baignés et rajeunis

Dans tes ondes où les rires se multiplient

Lorsque mouettes et soleil te chatouillent sans répit.

 

Tes rives à loisir chantent pour mon plaisir

Désormais jusqu’à mon ombre, jusqu’à notre ombre,

Hommes sans sel, hommes sans poids,

Qui sans nos ombres serions seuls,

Qui sans nos ombres aurions peur,

Courts de souffle, courts de paupières,

Courts de caresse et d’ « au revoir »,

Grêles et faibles êtres pour qui la mort est désespoir,

Camarades unis sur le sable en touffes d’herbe contre l’orage.

 

… Oui, sur tes rives malgré mon ombre, oh ma pauvre ombre,

Sœur en deuil du soleil que j’ose anéantir,

Les midis à loisir tournent pour mon plaisir

Et plus fluides sur plus d’oubli se délivrent les souvenirs.

 

Mer, ô babillarde confidente du Silence,

Au large des eaux dures où chantent nos destins,

Parmi ton bruit, planant au-delà de nos vies

Terreuses,

Mon cœur en son loisir vogue vers sa demeure,

Les golfes désunis tournent pour mon plaisir

Et je dérive enfin, ballotant d’île en île,

Sur mon navire aux vastes voiles d’espace fin,

Le troupeau sans sommeil de mes songes agiles

Présage ; et ne me guidez pas, si vous voulez que je sourie !

L’asile sans orage qu’allaient créant les dieux d’amour

Aux vieux jours de soleil et d’inhumanité,

L’asile sans amarre qu’ont saccagé les dieux sauvages

Offre son fier repos de flots apprivoisés

Aux bouts de siècles mal oubliés qui pour toujours sont en voyage.

 

La lenteur se balance aux blanches vergues de mon navire.

Avant qu’il fasse nuit, j’oublierai l’oubli.

J’ai tué les géants qui défendaient le peuple errant des rives

Et me voici le roi, couronné de ciel libre,

D’un règne immense où l’étendue ressemble au temps anéanti.

 

Je veux m’y construire une solitude ;

Ses remparts seront d’horizon nomade,

Ses créneaux d’air gris grisé par l’été ;

J’aurai pour épées des cheveux de fée ;

Le regard plus pur, moins dur qu’autrefois,

Mon amie viendra pour s’y faire aimer ;

Comme au premier soir je lui chanterai :

« Que la vie est belle, ô ma bien aimée !

« Que la mort est belle, ô ma solitude ! »

Puis nous parlerons de l’éternité .

 

 

(*) Note d’Armand Robin en tête de la page 2 du manuscrit, qui commence à « minuit » : « Conformément à l’annonce du dernier vers de la page précédente, le rythme de cette partie s’ouvre en éventail ».

Armand Robin 


Armand Robin, octobre 1936. Pour en savoir plus sur les circonstances de l'écriture voir l'éphéméride à l'année 1936



 

     Poésie personnelle
          Ma Vie Sans moi