De GIRAUDOUX,
A propos de Charles-Louis Philippe, un
admirable fragment de critique poétique et, par-là même, créatrice : la pensée y est
réelle au point d'être aussi phrase belle, ce qui suffit à menacer la thèse directrice
de l'article : « toute l'expression écrite des sentiments français est
bourgeoise » ; « toute la littérature
française est classique, c'est-à-dire d'une certaine classe... ». Peut-être
conviendrait-il plutôt d'affirmer qu'une « expression », dès qu'elle parvient à
la beauté, se sépare de toutes les autres, aussi bien royales que bourgeoises ou
populaires: pour être naturel un style n'a besoin que d'être parfait : une
« littérature de classe » n'est jamais la littérature d'une classe ; Racine ne
s'adresse pas au roi, mais à soi-même, ce que fait aussi Giraudoux, qui ne s'est
déclassé, n'a cessé d'être « classique » que lorsqu'il a parfois consenti à
égrener à l'usage des chapelles littéraires bourgeoises les notes menues de cette ,
« liturgie » à laquelle il voudrait réduire toute notre littérature.
« Il y a dans notre littérature des considérations sur la
misère, pas une seule expression de la misère, et il en est de même pour tous les
besoins, les appels et les souffrances primitives ». C'est oublier au moins Villon et
même certains vers de Phèdre. Par ailleurs les grandes souffrances créent et ne crient
pas ; seuls les esprits étrangers au malheur attendent de la misère une sorte de
témoignage brut ; les malheureux, eux, espèrent en l'harmonie et se préparent à
l'éloquence. |
Le reste de
l'article semble aussi remarquable par sa justesse que par sa plénitude. La pensée de
Giraudoux s'est faite toute proche des plus grandes ; mais elle s'embarrasse encore dans
ses ruses et reste alourdie par la trop fréquente légèreté de ses jeux; la plus
réelle infortune de Giraudoux - ses infortunes lui ressemblent - est d'avoir jadis
travaillé ses dissertations dans le parc du plus futile des lycées.
Les toutes dernières pages contiennent une découverte qui est plus
à l'honneur de Giraudoux que lui-même ne le soupçonne peut-être : c'est d'avoir
effleuré le secret des écrivains venus du peuple: ils ne cessent de se sentir compromis
dans le défaut du monde ; vivant dans la crainte d'avoir faussé le destin, ils portent
en eux le remords d'être présents ; d'où leur penchant à l'autobiographie, au mea
culpa et leur aversion pour l'attitude subversive : les révolutionnaires n'attaquent
généralement qu'eux-mêmes. Sentiment étrange certes ; Giraudoux n'a pu le saisir qu'à
force d'AMITIÉ pour Charles-Louis-Philippe. |