Les Revues
MESURES : N°s du 15 janvier et 15 avril 1939
Chaque numéro de Mesures,
composé avec beaucoup de tact et de subtilité, semble devoir nous assurer, outre un
ordinaire de textes presque tous importants, la surprise de deux ou trois uvres de
tout premier ordre.
Dans le N° de janvier, des fragments inédits du Journal intime
d'Amiel, à la fois plus curieux et plus émouvants que ceux que nous pouvions déjà
connaître ; deux nouvelles, l'une de Queneau, l'autre de KI. Haedens ; un poème
d'Eluard, où tintillonnent souvent les vrais accords d'une bucolique de la préciosité ;
un poème de Juljan Tuwim, que j'ai eu la joie de traduire du polonais : L'arbre inconnu :
Où es-tu, arbre puissant et fier,
Ample en ramures, bruissant de feuilles,
Avec ton nud de racines qui pousse dans la terre,
O toi, mon arbre, qui fera mon cercueil ?
Il me faut te connaître, palper ton corps rugueux,
T'appeler par les bois, te héler par les halliers !
Où es-tu, arbre secret, arbre cercueilleux?
Ton compagnon de lit est venu te chercher..., etc.
Enfin, dominant par sa majesté l'ensemble du recueil, quelques pages
de Claudel, moins étonnantes peut-être par leur ampleur, leur sobriété et leur
sérénité que par leur indifférence à l'égard de tous ces privilèges du génie.
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La
merveille du N° d'avril me paraît être La Ferme,
un poème de Guido Gezelle, admirablement traduit du flamand par Michel Seuphor :
c'est frais, pimpant, dansant comme une fantaisie rustique de Jean-Phillipe Rameau, mais
bien moins frêle, bien moins grêle, vraiment paysan, mêlant candeur et malice :
écoutez le cri du "fabuleux dindon" :
« Kik ! » son fichu rouge luit,
« Kik ! » il fait la roue, il vire,
« Kik » son cache-nez s'étire,
« Kik » ses ailes traînent, noir,
« Kik » ses plumes se rebroussent,
« Kik » baisse la tête et tousse,
« Kik » pour dire : « Venez voir ! »
« Kik » c'est moi, moi le grand-maître,
« Kik » nul ne m'atteint aux guêtres,
« Kik » « c'est moi le commandeur »
Vois, ses pieds frottent la terre,
Son habit bat la poussière :
« Kik » à droite : « ma splendeur! »
« Kik » à gauche « admirateurs »..., etc
Dans le même N°, deux textes propres à étourdir : « Danse Mabraque » de Fargue et « L'approche du caché » de l'écrivain argentin
Borgès ; des poèmes de Jean Wahl ; un poème du poète hongrois Jules Illyès, où l'on
retrouve unies de nouveau cette sauvagerie et cette subtilité qui rendent si déchirante
l'uvre d'Ady. - Un beau poème, peut-être un peu embarrassé, d'Édith Boissonnas :
Civilisations ; enfin 4 pages de Jouhandeau, qui
nous obligent une fois de plus à nous étonner de la mauvaise volonté apportée par
notre époque à reconnaître là un de ses plus vrais artistes. |