- 1946 - |
janvier | ***
: sans date précise : longue dédicace (une vraie
lettre en fait!) des Poèmes Indésirables qui
viennent de paraître à Jacques Permezel, son condisciple à
Lyon : J'ai beaucoup pensé à toi quand j'ai vu où on
menait ce monde. Je me rends compte que j'avais trop
laissé de côté la vérité intérieure pour
les séductions de ce monde qui sombre dans des conceptions
matérialistes et meurt de n'être qu'extérieur. Ceci n'est
qu'un point de départ ; je n'ai jamais
mieux compris la parole de l'Evangile : "il faut se
dépouiller du vieil homme"; il faut que je le tue par la
lutte permanente en moi contre moi. Je pars de
l'anarchisme pour pouvoir, rejetant le communisme en
arrière, chercher une vérité nourrissante pour
l'âme. Je comprends maintenant pourquoi A. Blok avait mis
le Christ, invisible, à la tête des
Douze. Suit une 1ère signature et un très long post-scriptum, dans lequel il indique clairement sa participation à la Résistance, mais aussi son refus de la "résistance littéraire", puis il informe son correspondant sur son métier d'écouteur des radios, signe une 2e fois et amorce un dernier post-scriptum : Encore un mot : j'aime beaucoup les anarchistes ; je vois maintenant que dans les milieux de gauche, ils étaient les seuls sincères et désintéressés ; tout simplement, je crois, parce qu'ils se placent uniquement sur un plan humain et jamais sur le misérable plan des tactiques politiques. Mais leur pensée est inconsistante : il leur manque quelque chose d'essentiel; ils démolissent le Mal (ce qui est déjà quelque chose ; ils démoliront un jour le matérialisme historique), mais ils ne construisent pas le Bien. 2 : Lettre dactylographiée à Jean
Bouhier, qui lui a demandé - lui aussi - des textes à
publier... malgré la liste noire ! Lesquels ? Impossible
de le savoir : manque de précision, mais ce ne sont pas
les Poèmes Indésirables ni Ady ni Pasternak.
AR refuse : il ne peut plus publier "sous des formes
ordinaires". Il envisage donc une autre solution : Je
crois que le mieux est que je publie ces textes sous la
même forme que ceux d'Ady et de Pasternak : comme je
supprime tout droit de propriété, un éditeur peut
ensuite les reprendre et les publier comme il l'entend.
Pour les textes en question, je les publierai à quelque
200 ou 300 exemplaires seulement. Ce qui est un peu
gênant, c'est que mes possibilités individuelles sont
assez limitées et que je ne sais pas quand j'aurai les
moyens d'abord de faire ce travail, ensuite de l'éditer
moi-même. Je dois en outre en ce moment supporter les
frais d'une édition de mes poèmes en russse, édition
destinée à remplacer à l'intérieur de l'URSS les
feuilles dactylographiées qui y circulent). 16 : Lettre dactylographiée avec
beaucoup de ratures à Jean Paulhan : ça commence par un
très sec Paulhan, et ça se termine par Ceci
mettra fin à nos relations (manuscrit) ! Nous
plongeons donc dans une nouvelle ère glaciaire dans les
relations entre les deux hommes. AR lui exprime sa
philosophie et sa démarche d'homme/poète du peuple venu du
peuple... et il a compris que c'est Paulhan qui la
contrarie : Cette dernière lettre m'a dévoilé tout le
jeu que vous n'avez cessé de jouer à mon égard : vous
vous attaquez au fait que je parle en tant qu'homme venu
du peuple tout simplement parce qu'une poésie
exprimant authentiquement le peuple est ce qui est le
plus rigoureusement interdit en ce moment de
l'humanité. Mais justement il est évident que
je suis venu pour rompre cet interdit. Et cet interdit
sera rompu : la poésie prolétarienne naîtra précisément
de la défense faite par les organisations réactionnaires
communistes, socialistes, fascistes, etc. Il n'y a rien
à faire contre cela. Tout ce qu'on fera contre elle
(notamment ma "tactique du silence") l'aidera. [...]
Nous ne nous reverrons certainement jamais; ou si nous
nous revoyons, du moins ne vous serrerai-je jamais la
main. (en gras, et pour des raisons de lisibilité
les passages en majuscules dont AR commence à abuser à
tout instant, y compris dans les poèmes indésirables.
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février | ***
: Revue internationale (janvier - février) : Poème
du fils du prolétaire, En tête des morts, Nouveau chant
des moissonneurs, Souvenance d'une nuit d'été, Paris, mon
maquis, Souvenir d'un immense mort, Ma fiancée
: poèmes d'André Ady, avec l'introduction
L'un des autres que je fus. Publication
préparatoire à celle de mai aux éditions anarchistes. Il est
donc bien clair qu'Ady ne paraîtra pas chez
Gallimard. La Revue Internationale,
émanation des Editions de Minuit, avait Maurice Nadeau et
Gilles Martinet, entre autres, à son comité de rédaction.
7 : pneu à Jean Paulhan, à son domicile personnel, sans en-tête sinon Président de l'hitléroïde CNE : AR demande 10 millions de dommages et intérêts au CNE pour l'avoir mis sur la liste noire à cause de ses origines prolétariennes. Annonce qu'une copie du pneu part pour l'étranger... 16 : dédicace un exemplaire des Poèmes
Indésirables : Souvenir d'un jour
d'indésirabilité. |
mars | Plus
loin, N° 1 : aucun article d'AR. 29 : lettre à Jean Paulhan : Jean Paulhan a publié dans Le [Figaro] Littéraire, une lettre révélant à AR un "organisme à sanctions contre l'esprit" : AR demande évidemment une sanction contre lui-même. 30 : Lettre ouverte au Comité National d'épuration pour les Lettres : J'ai eu l'honneur à cause de mes idées d'EXTREME-GAUCHE, d'avoir été mis sur la liste noire des écrivains par suite d'une manoeuvre des bourgeois staliniens. Comme je suis irréductiblement un homme d'EXTREME-GAUCHE, j'exige que vous prononciez une sanction contre moi: c'est très normal puisque vous êtes les supervichyssois, les hommes menant contre l'activité libre et révolutionnaire de l'Esprit une lutte plus forte et plus hypocrite que celle que vos confrères en nazisme, les hitlériens, avaient osée. [...] je tiens à être mis sur TOUTES les listes noires qu'elles soient établies hier par les stalinonazis, aujourd'hui par vous, demain par les [illisible] ou autres fascistes. |
avril | ***
: Revue Internationale (mars - avril) :
Pentti-Haanpää : trafic d'oiseaux, traduction et
Tou Fou : Che Hao police et Les adieux de
l'homme sans maisonnée, qui figureront tous deux dans
Poésie Non traduite 1.
5 : Lettre indésirable du 5 avril 1946, demande officielle pour obtenir d'être sur toutes les listes noires : adressée au Comité d'épuration pour les Lettres. Il s'agit de l'officiel Comité présidé par Gabriel Audisio au Ministère de l'Education Nationale. Lettre ironique naturellement commençant ainsi : " Messieurs les officiels commis à la poésie"; et se terminant par : " Je me porte candidat d'avance pour toutes les listes noires. Une liste noire où je ne serais pas m'offenserait". Le Libertaire publiera la lettre en novembre. 19 : Le libertaire
: La radio internationale ou le silence totalitaire,
article non signé, qui prépare La fausse Parole,
et André Ady : En tête des morts, traduction :
1ères contributions au journal. La collaboration durera
quasiment jusqu'à l'interdiction du journal en 1955. Le
1er article de son ami Georges Brassens, qui va adhérer à
la Fédération Anarchiste en mai, sera de septembre. Les
deux hommes vont se fréquenter régulièrement désormais.
Mais AR, qui vient régulièrement à l'impasse Florimont,
semble comme en dehors du groupe d'amis qui entourent
Brassens. |
mai | 2
: Poèmes d'Ady, par Armand Robin,
"Inscrit sur la liste noire du Comité National des
Ecrivains. Edition mise en vente au profit de la fédération
anarchiste et de la solidarité antifasciste". Dans un
brouillon de la préface, AR révèle que le volume devait être
publié par les éditions Gallimard : Ces poèmes d'ADY
devaient paraître aux éditions GALLIMARD. Ces éditions, en
cédant devant les réactionnaires communistes, en
s'abaissant à éditer malgré leur médiocrité fatale des
oeuvres de petits-bourgeois inscrits par haine du peuple
au parti bolchevik, ont blessé la fierté et la beauté de
l'AME des salariés. Un poète, s'il est authentique et si,
né du peuple, il tient à rester envers et contre tout
fidèle au peuple, ne peut accepter que son travail soit
publié par des éditions qui osent éditer de l'Aragon ou de
l'Eluard ; surtout il ne peut accepter d'être publié là où
le capitalisme, par communauté d'intérêts, fait des
concessions à l'extrême-droite, c'est-à-dire au
bolchevisme. Texte
complet La version définitive de la préface met le volume directement dans le domaine public : AU LIEU DU TITRE DE PROPRIÉTÉ : "Tous droits de reproduction réservés". Ce volume passe directement de mes mains dans le domaine public; je demande à tout futur éditeur de prélever sur ses bénéfices la plus forte somme possible pour aider les organisations authentiquement d'extrême-gauche et irréductiblement antifascistes; ceci implique qu'en aucun cas ce travail ne pourra être édité par quiconque fera des concessions aux communistes. On y trouve aussi la 1ère version du fameux texte L'un des autres que je fus, qui sera repris en 1951 dans l'édition bilingue du Seuil. Dédicace d'Ady à André Breton :
"A André Breton, avec ma confiance en lui A. Robin".
Toutes les oeuvres publiées aux éditions anarchistes se
retrouvent dans la Librairie du Zodiaque, rue Monsieur
Leprince, au quartier latin, où Pierre Béarn les
accueille volontiers.
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juin | Plus
loin, N° 2, périodique littéraire,
social-scientifique, économique, philosophique et
artistique de l'anarchisme : parution de 2 extraits
des poèmes indésirables : l'avant propos au lieu
de titre de propriété sous le titre la
poésie libre et Un
(le) poète venu de peuple . Armand
Robin souscrit à la revue (qui va disparaître avec son 2e
numéro) pour 80 francs, ce qui le situe dans la moyenne
des souscripteurs. Il avait annoncé ainsi la naissance
de cette revue à Jean Bouhier le 2 janvier : La
Fédération Anarchiste se prépare à publier une revue qui
rompra entièrement avec les oppressions de ce temps ; j'ai
demandé par exemple qu'elle publie des textes d'un homme
comme Jouhandeau, ridiculement interdit, qu'elle publie
même des textes de quelques hommes pourtant compromis dans
la littérature de résistance comme Eluard et Paulhan ;
mais pour ma part je ne pourrai pas y publier, car j'ai le
sentiment que je ne souffre pas encore assez avec
l'humanité actuellement réduite à une sorte de vie dans un
souterrain. Inutile de préciser au vu des sommaires
des 2 numéros parus que les désirs de Robin n'ont pas été
suivis d'effet, loin de là....
19 : Marcel Laurent, professeur de français, démissionne sur un coup de tête de son cours privé. AR, qui l'avait recommandé, remplace son ami au pied levé jusqu'à la fin de l'année scolaire à la demande du directeur. 26 : Lettre à Maurice Nadeau : Sollicité pour participer à la page littéraire de Combat, AR décline l'invitation : J'aime Combat, mais dans la page littéraire j'ai vu qu'il y aura beaucoup de noms auprès desquels je ne veux pas être, noms d'écrivains de la Résistance, notamment, par conséquent de droite. Et il joint à la missive un exemplaire du Pasternak, pourtant daté de juillet. Suit une phrase sybilline : Je publierai ces textes le jour où il n'y aura plus de propagande sur terre. Si je ne vois pas ce jour, eh bien! on les publiera après ma mort. Le volume du Pasternak est donc prêt. Voir octobre. |
juillet | AR
rédige l'en-tête du Pasternak à
paraître en octobre.
5 : Le libertaire : le cas Paul Eluard 7 : Lettre à Jean Paulhan... sans texte : copie de la lettre qu'AR, secrétaire de la Fédération Anarchiste de la région sud de Paris et de la Seine, envoie au CNE avec un exemplaire de son Ady. Annonce un texte intitulé : De la maladresse des bourgeois staliniens dans la calomnie, qui paraîtra fin novembre dans Le Libertaire. 29 : Lettre de Jean Paulhan à Armand Petitjean,
qui le sollicite pour une radiation de la liste noire : Dans
le même genre, j'aime assez la solution de Robin, qui
signe ses livres : Armand Robin de la liste noire du
CNE. |
août | Voyage à
moto dans le nord de l'Europe : Jersey, Guernesey, Ecosse,
nord des Iles britanniques, Finlande, d'après Marcel
Bisiaux, corroboré par la note de voyage Jersey.
16 : Le Libertaire : Nouveaux sauvages dans les forêts |
septembre | 13
: Le Libertaire : A propos
de Paul Eluard
13, 14, 15 : Congrès de la fédération anarchiste à Dijon : A R y participe sans doute en tant que secrétaire de la zone de Paris sud et de la Seine. |
octobre | Poèmes
de Boris Pasternak, par Armand Robin, aux
éditions anarchistes, avec la même présentation que Ady. Le
livre se termine par L'assassinat des poètes : à propos
de l'épuration de Boris Pasternak en URSS,
reproduction légèrement modifiée et adaptée de l'article du
Libertaire ci-dessous.
4 : Le Libertaire : L'assassinat des poètes : à propos de l'épuration littéraire en URSS |
novembre | Démission
de Jean Paulhan du CNE
9 : La Gazette des Lettres : le Bec de la Plume, article anonyme sur Les Poèmes Indésirables. D'après Georges Monti, qui l'a reproduit dans Plein-Chant 1979, l'article serait de Raymond Dumay, directeur de la revue. Il défend le côté indésirable de tout poète, et notamment d'AR. 22 : Les Lettres Françaises,
organe du CNE, d'Aragon et du PCF : un Indésirable,
article anonyme au vitriol sur AR, en réponse au
précédent. |
décembre | 6
: Le Libertaire : Poèmes de Boris Pasternak,
article critique de Pierre-François sur la
traduction d'Armand Robin, parue en octobre, davantage
consacré à la situation en URSS qu'au travail de l'auteur.
Cela se termine par : Robin, nous te remercions.
13 : Le Libertaire : Alain Sergent : Je suivis ce mauvais garçon, article critique 23 : Lettre de Jean Paulhan à Vercors : il y fait
une liste d'écrivains injustement condamnés par le CNE :
Jouhandeau, PetitJean, Giono, et termine par Robin : ainsi
d'Armand Robin (qui est un demi-fou, mais a
courageusement servi la Résistance). *** : Sans date (sans doute 1947 ou
1946) : texte Un démenti, dans
le style des Lettres Indésirables
: Il m'a été rapporté de divers côtés que l'histoire
suivante circule sur mon compte : sous l'occupation
allemande j'aurais par amour du danger pris tous les
jours mon téléphone pour dire directement à la Gestapo
toutes les vérités désagréables pour elle ; après avoir
traité les gens de la Gestapo d'assassins, etc, etc,
etc, cette légende veut que je leur aie donné chaque
fois mon adresse en les défiant de venir m'arrêter et
qu'enfin je leur aie chaque fois dit : «Vive Lénine !»
Je reconnais volontiers que cette histoire ne manque pas
de vraisemblance : il est d'ailleurs tout à fait normal
et naturel, lorsqu'on a une bande de tueurs devant les
yeux, de dire à ces gens ce qu'on pense d'eux,
c'est-à-dire qu'ils sont des tueurs. [...] |
index éphéméride
*** Les événements ainsi marqués, quoique authentiques, ne peuvent
être datés de manière très précise. Ils figurent en tête de
l'année ou du mois.