En avril 1941, Armand Robin devient employé au Ministère
de l'Information au service des écoutes radiophoniques en langues étrangères comme
"collaborateur technique".
Si on l'en croit, c'était un travail très lourd: de 12 à 18 heures par jour (?), effectué à son domicile et qui débouchait sur la rédaction d'un compte-rendu. Vers midi, il venait le déposer au Ministère de l'Information. Ces écoutes n'étaient donc pas clandestines, comme on l'a trop souvent écrit, mais bien officielles, ce qui ne veut pas dire qu'elles ne comportaient aucun risque. Le bulletin était ensuite ronéotypé et diffusé dans divers services ministériels et à la Présidence du Conseil. Aucun d'entre eux n'a pu être retrouvé pour l'instant, les archives du Ministère de l'Information ayant "disparu". Il s'agit là de la première version des Bulletins d'écoute tels qu'ils seront produits après la guerre.
En 1942, dans l'illégalité la plus totale, il
transmet des doubles de ses Bulletins d'Ecoute au Service Clandestin de l'Information, à
l'Office Algérien et sans doute au journal L'Humanité, Robin se déclarant communiste.
Il en communique également à Jean Paulhan, sachant bien que celui-ci s'est engagé dans
la Résistance. Il lui arrivera aussi de transmettre des messages personnels émanant de
Londres et captés à la radio
En août-septembre 1943, Robin vit deux mois de rupture
totale. Au Ministère, ce sont des provocations incessantes, de plus en plus accentuées,
et donc voulues: il lui arrive de crier "Vive Lénine! Vive Staline! au passage de
ses supérieurs hiérarchiques ou de personnalités politiques! Ceci conduit à la mise à
pied, malgré une intervention de Laval. A-t-il vécu 5 semaines sous la surveillance de
la Gestapo, à la suite d'une dénonciation comme il le raconte? C'est possible. En tout
cas aucune charge n'est maintenue contre lui, à cause de son comportement jugé
irresponsable, dit-on; mais au mois de septembre, il ne fait plus partie du personnel du
Ministère. Dans un premier temps il sera révoqué purement et simplement. Début octobre
il enverra à la Gestapo sa Lettre Indésirable N°1.
En mai 1944, Armand Robin reprend à titre
personnel le Bulletin d'écoute pour l'Agence d'Information et de Documentation ainsi que
pour la presse issue de la Résistance: Combat et L'Humanité, au moins: en
tout une dizaine d'organismes, d'après lui. Le tirage s'élèvera à 45 exemplaires en
1957, ce qui correspond sans doute à son maximum. Parmi les abonnés on cite couramment
-mais sans jamais donner de date de début d'abonnement- le Quai d'Orsay, le Comte
de Paris, le Vatican, La Fédération Anarchiste, Le Populaire, Le
Canard Enchaîné, La Gazette de Lausanne, (Ouest-France?). Mais aucune
vérification n'a donné de résultats concrets. Au début la parution semble être
quotidienne -bi-hebdomadaire par la suite- et coûte 3 000 f par mois, ce qui permet à
Robin de gagner sa vie au prix d'un labeur acharné et d'une préoccupation de tous les
instants. Lorsqu'il se déplace -ce qui lui arrive souvent- il ne le fait jamais sans la
radio, voire le magnétophone; divers témoignages nous le présentent -dans l'urgence- à
la recherche d'une prise de courant ou d'une machine à écrire en état de marche.
Le bulletin -titré LA SITUATION INTERNATIONALE
D'APRES LES RADIOS EN LANGUES ETRANGERES- se présente sous la forme de feuilles
ronéoptypées (6 à 8 pages) dans les bonnes années, . Les rubriques y sont classées et
l'on commence en général par celle de la "dernière heure". Par rapport aux
autres "lettres d'information" de l'époque, celle de Robin a ceci de
particulier -outre son sujet- qu'elle est entièrement réalisée par son auteur: écoute,
traduction, transcription, analyse, frappe, impression, diffusion le plus souvent par
portage individuel. Le tirage est variable: de 35 exemplaires en 1955, il monte à 45 en
1958 pour 8 numéros par mois. Même malade, Armand Robin fait l'impossible pour
satisfaire ses abonnés: le dernier numéro paraîtra quelques jours seulement avant sa
mort, non sans avoir annoncé une interruption temporaire pour cause de maladie.
Beaucoup de ces bulletins ont disparu. Parmi ceux qui ont été retrouvés, le plus ancien est de 1952.
Dans Têtes d'Affiche, éd La table Rnde, 1975,
André Reybaz évoque l'univers matériel de Robin et une séance d'écoute un soir où il
était invité à dîner:
Une forêt vierge, pas de lianes, de fils électriques. Ça pend,
jaillit, s'entremêle, se raccorde de partout, se branche sur des avalanches de radios de
toutes époques. Le moindre court-jus on est fin grillés. Je n'ose bouger. (...)
La cuisine, elle est parfaite pour les écoutes radio, les
plus clandestines: on peut les faire gueuler, jamais repéré! Du capitonné soigné, et
recherché, quel camaïeu de noir. je pousse mon doigt contre un mur, j'arrête vite. je
le regarde mon doigt, loin du nez, consternant, jamais je ne réussirai à le ravaler.
(...)
Il sourit :
- Ecoutons Moscou, voici l'heure...
- Hélas, je n'entends pas le russe.
- Préfères-tu Sumatra ?
Il se casque, tourne des boutons, s'impatiente, se fige
respectueux, puis éclate de rire, devient cramoisi:
- Menteurs! Porcs à cinq queues! Fourmis crasseuses Ah ! Ah !
Il ne peut plus respirer. Il suffoque. Tape du talon, frénétique.
Il s'arrache les écouteurs.
- Banal ce soir. La routine. Rien à signaler.
Pour lire un extrait d'un bulletin d'écoute
Pour visualiser une reproduction de 1ère page
de bulletin
Quelques rares bulletins d'écoute ont été
reproduits - réécriture ou fac-similé- et peuvent être consultés dans diverses
publications:
Références |
Publication |
éditeur |
présentation |
16-17/6/52: N° 42 |
La Fausse Parole |
Le Temps qu'il fait |
retranscription |
10/1/55: N° 2 |
Ecrits Oubliés I |
UBACS |
retranscription |
14-15/1/55: N° 3 |
Plein Chant 1979 |
Le Temps qu'il fait |
fac similé |
9-10/2/55: N° 9 |
La Fausse Parole |
Le Temps qu'il fait |
retranscription |
1-2/6/55: N° 38 |
La Fausse Parole |
Le Temps qu'il fait |
fac similé |
13-14/6/57: N° 43 |
Plein Chant 1979 |
Le Temps qu'il fait |
fac similé |
16/7/58: N° 43 |
Ecrits Oubliés I |
UBACS |
retranscription |
12/3/61: N° 24 |
Ecrits Oubliés I |
UBACS |
retranscription |