LETTRE INDÉSIRABLE N° 1
Adressée le 5 octobre 1943 à la Gestapo, avenue Foch, Paris.
Preuves un peu trop lourdes de la dégénérescence humaine,
il m'est parvenu que de singuliers citoyens français m'ont
dénoncé à vous comme n'étant pas du tout au nombre de vos approbateurs.
Je ne puis, messieurs, que confirmer ces propos et ces tristes écrits. Il est très exact que je vous désapprouve d'une désapprobation pour laquelle il n'est point de nom dans aucune des langues que je connaisse (ni même sans doute dans la langue hébraïque que vous me donnez envie d'étudier). Vous êtes des tueurs, messieurs; et j'ajouterai même (c'est un point de vue auquel je tiens beaucoup) que vous êtes des tueurs ridicules. Vous n'êtes pas sans ignorer que je me suis spécialisé dans l'écoute des radios étrangères; j'apprends ainsi de précieux détails sur vos agissements; mais, le propre des criminels étant surtout d'être ignorants, me faudra-t-il perdre du temps à vous signaler les chambres à gaz motorisées que vous faites circuler dans les villes russes ? Ou les camps où, avec un art achevé, vous faites mourir des millions d'innocents en Pologne ? (...)
Vous ajouterai-je, messieurs, pour me tourner enfin vers cette Allemagne que vous prétendez représenter, que je ressens tous les jours une très grande pitié pour mon frère, le travailleur allemand en uniforme. Vous avez assassiné, messieurs, mon frère, le travailleur allemand; je ne refuse pas, ainsi que vous le voyez, d'être assassiné à côté de lui.
Armand Robin
Avant sa publication en volume, dans Ecrits oubliés I, cette lettre inédite du vivant de Robin est parue dans la revue Cahiers des saisons en 1965, puis dans le numéro 3 de la revue Plein chant de 1979 consacré à Robin.