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Armand Robin :
critique à la revue Esprit : 1937-1940

- Julien Benda Précision 10 / 1937 -

 

Julien BENDA : Précision (1930-1937) (N.R.F.)

Infidèle à l'éternel, mais avec constance, M. Benda s'est fait un choix, pour son nouveau livre, d'anciens articles, où il se souciait de corriger, de polir et d'achever les sottises imparfaites de ses contemporains touchant toutes sortes de sujets: communisme et fascisme, esprit pur et esprit incarné, histoire et gouvernement, journalisme et inquiétude, Socrate et Clémenceau, etc. Descartes, que M. Benda propose en modèle, ne s'attardait point à recenser ce que croyaient penser tous les libellistes de son temps et ne perdait pas sa peine à vouloir mêler de la sagesse aux décisions des rois; il supposait calmement que ces importantes médiocrités n'étaient d'aucune conséquence, qu'au pis-aller il n'eût risqué que d'être brûlé, que ce dernier argument ne troublait guère la justesse d'une idée, et il travaillait.

M. Benda n'a jamais tort, mais peut-on dire qu'il ait quelquefois raison? Une vérité, c'est un raisonnement plus une découverte; les argumentations irréprochables ont rarement fait avancer l'histoire de l'esprit; elles l'ont souvent gênée. Socrate apparemment n'était guère plus habile logicien que les sophistes, mais il écoutait son démon. Par ailleurs, il semblerait désirable que le clerc ne fixe pas une discussion sur des conclusions, qui ne sont peut-être que des erreurs un peu plus raisonnables et surtout un peu mieux raisonnées. Socrate ne se serait pas hâté de triompher en mettant en forme les bévues d'autrui, car il tenait bien davantage à vaincre une vraie difficulté qu'à battre M. Maurras.

 

La « précision » peut conduire à préférer une phrase à une œuvre; il convient parfois de craindre que M. Benda ne prenne à la lettre quelque malheureux détail qui n'a de sens que rapporté à un être et qu'il ne commette avec une ingéniosité allègre des contresens d'ailleurs impeccables, soit qu'il sollicite vers ses pentes une pensée que le hasard d'un terme a mal servie, soit, bien plus souvent, qu'il fasse monter vers la vie de l'esprit les mots d'un bavard ou d'un étourdi: nous nous trouvons ainsi à la fois fâcheusement surpeuplés d'hommes très intelligents et doutant de ceux qui le sont réellement.

Malgré les apparences, notre intention n'est pas de railler M. Benda, qui est de toute évidence supérieur à la plupart de ceux qu'il a la bonté d'attaquer dans son livre, mais d'indiquer combien sa pensée serait plus efficace si elle se dégageait de ces « on dit » que constitue souvent le mouvement d'idées d'une époque. Il est à peine besoin de proclamer contre les ennemis de Benda qu'il y a un réel courage à se porter comme il le fait à tous les endroits menacés d'une civilisation; nous voudrions simplement que son action ne soit pas cette assez vaine escrime. Le respect et l'amour envers les œuvres solides et grandes font un devoir d'être implacable pour les autres.

Armand Robin Esprit, octobre 1937

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