Sur
les blessures que les montagnes clament aux quatre
vents
Se
pose le baume rose du soleil couchant ;
Voici
qu’avec
les feuilles naît la bonté,
L’éternité
chantonne
un vol de scarabée,
Aux
fontaines se décide un ciel en peine
Et
l’herbe se déride à l’embrasser.
Si
tu le peux, ma tête, dors sur ton nouveau chant,
Le
réel va mûrir sans ruse, posément.
Des
arbres, quatre champs et la plaine des astres
Boivent
contre
mon front la fraîcheur d’être calmes
Et
purs devant le monde argenté, dépouillé ;
Des
clartés de nuages à hâtes bleuâtres
Se
disputent une route de lune, de songe et de
silence ;
Il
s’élève en tout mal presque une indifférence
Et
la Terre se fait si simple que la sérénité
Pousse
en tige pensive auprès de la Beauté.
Le
réel va mûrir sans lutte, posément.
Si
tu le peux, ma tête, dors sur ton nouveau chant,
Des
sentiers de tendresse soulèvent les collines
En
immenses touffes d’attente, de prière et de
rosée ;
Les
profondeurs de chair montent vers le secret,
L’inaltérable
éclat
des pleurs dissimulés
M’illumine
tout
l’espace en temple taciturne
Où
même un cri de Dieu ne serait qu’un murmure.
Un
seul sanglot mortel encore et nos mots en confiance,
Souplement
isolés
des précipices que le silence hisse,
Sur
les cordes vigilantes de la douleur danseront notre
frêle
Invocation
pour
la dernière et souveraine étoile
Qui
trop lointaine a su nous dérober sa joie.
Martelé
de lueurs jusqu’au destin d’un vers,
Dors
en brisant sans bruit l’enclos de l’éphémère.
Armand
Robin,
Arts et Idées
N° 19 avril 1939
Ce
poème, resté inédit en volume, a été écrit en août 1937
au château des Taboureaux, dans l’Yonne, propriété
de Simone et Maurice de Crépy, qui ont misà la
disposition permanente d’Armand Robin un petit pavillon
solitaire dans la propriété. Le jeune poète y
donne des cours particuliers aux enfants de la famille,
Jacques et François, avant de nouer avec eux des
relations d’amitié. Le poème leur est dédié : A
Simone et Maurice de Crépy, en toute amitié, ce poème
que Les Taboureaux et eux seuls ont créé. Les
deux premiers vers seuls sont nés ailleurs. Plus
tard, Jacques et Dolly, sa jeuneépouse, seront
les mystérieux dédicataires dePoésie non
Traduite.
Le
poème
est contemporain des meilleurs qui figureront dans Ma Vie sans Moi.
Expédié avec eux à Jean Paulhan en 1938, et revêtu du
signe NRF comme eux, il aurait légitimement pu
prétendre figurer dans le recueil.
L'auteur
lui donne dès le départ un statut particulier parmi les
textes envoyés à Jean Paulhan en vue de
publication : « A l’ensemble de poèmes que je
vous ai envoyés (sous le titre Coutumes de la
Beauté),j’ajoute
ce poème Transfiguration.
Je me demande pourquoi je puis considérer ce poème
comme terminé. !»