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Armand Robin : la poésie

 avant et autour de Ma Vie Sans Moi 

Sur Essénine Yggdrasill

                  

Sur Essénine
Quelques poètes sont morts sur l'eau, lit plus fragile ; Essénine semblait encore bouger dans les vents, lorsque pour la première fois les hommes purent le bien saisir, le tenir sans qu'il sût se dérober.
Sans doute sera-t-il toujours impossible qu'un poète russe - connaisse une mort humaine, mais, d'Essénine est-il possible de croire qu'il ait jamais eu conscience d'une vie â conserver ? Il passa près de nous, près de tout, presque aussi insouciant que désespéré, tragiquement détaché de ceIa même qu'il possédait le mieux : les bouleaux, les tilleuls; la steppe bleu-ciel. De nulle famille, de nulle patrie, de nulle femme, de nul arbre même, il n'emporte rien qui lui soit aide, consolation ; loin d'être recherche haletante d'un refuge, errance casanière, son odyssée paysanne est  vagabondage de vent.
L'homme n'existe guère pour lui, à moins que ce ne soit l'ivrogne ou la prostituée, les deux seuls genres d'êtres humains dont le regard finit par se dépouiller de toute méchanceté, à force de se faire inanimé,  absent,  presque innocent. Essénine aime sa mère parce qu'elle est un élément; il la justifie parce qu'elle fait partie de l'isba, comme il justifie le peuple, parce qu'il fait partie des tempêtes de neige, des forêts transies de lune et d’abandon.
Les poètes de chez nous, parfaits fils de bourgeois (1) comme Hugo, impatients d'affirmer partout leurs privilèges ne se tournent vers la nature que dans les occasions où les hommes leur refusent un triomphe ; leur amie, la nature, leurs amis, les animaux ont alors la charge d’être glorieux pour eux ; la majesté des vallons et des lacs n’accable que Les poètes de chez nous, parfaits fils de bourgeois comme Hugo, impatients d'affirmer partout leurs privilèges, ne se tournent vers la nature que dans les occasions ou les hommes leur refusent un triomphe ; leur amie , la nature, leurs amis, les animaux ont alors la charge d'être glorieux pour eux; la majesté des vallons et des lacs n'accable que l'humanité, elle s'accommode du poète : la vanité du fils du  bourgeois est sauvée.
Mais Essénine ne préfère pas la "nature"; il la choi­sit ; il ne la conçoit pas victorieuse, mais menacée par l’"hôte de fer", 'l'hôte d'acier" ( "Staline" : ceci est prophétique). La déchéance pour lui est le signe à quoi l'on reconnaît ce qu'il est beau et bon de chérir. Les bêtes qu'il aime sont toutes blessées, telle la renarde :
"En flamme de neige a croulé sa queue jaune ;
"Sur ses lèvres, le pus d'une carotte chaude."
Les ponts sont timides, le sorbier laisse couler son sang de baies, toute la Russie populaire attend son désas­tre :
"Le seigneurial ermite-taureau,
"Qui vient de répandre sur des génisses tout son cerveau
"En essuyant sa langue contre l'enclos
"A flairé le malheur sur les hameaux."

Essénine a raison ; la moindre herbe est désormais gémis­sement ; elle était, aux débuts de l'humanité, le miracle même ; l'homme ne se savait pas encore important sur la terre ; l'animé et l'inanimé se confondaient, se transmuaient. La poésie du paysan russe nous reporte à des âges où les éléments étaient tabous ; elle est bien plus qu'inactuelle : elle est ancestrale, avec elle nous retournons aux premiers moments de la conscience indo-euro­péenne. Beaucoup de ces poèmes tentent avec désespoir de resti­tuer aux choses leur merveilleuse efficience, leur prééminence sur les hommes ; admirables et douloureux tours de passe-passe : la lune saute sur la mare et devient grenouille ; le vent prend un balai, hennit, mange , se saoule, fait l'amour, tout comme Essénine lui-même,"mieux que moi", semble crier le poète.
De là vient peut-être que la vie ne rendit d'autre servi­ce à Essénine que de lui faire connaître un enfer de tortures ; sa poésie n'est que le développement d'un état initial, pres­que antérieur a lui, elle ne peut être acquisition ; elle ne connaît guère le renouveau, le printemps ; elle est comme la neige qui se ressemble éternellement à elle-même. Cet homme, né pour ne rien posséder, aura beau tout avoir : aisance, gloire femmes et femme, le malheur est en lui du Jour où du monde ne peuvent lui parvenir que des images ; l'animé ne remplace pas le vivant.
De ce cercle de fatalités Essénine ne pouvait se libérer ; il lui fallait non pas l’harmonie, mais le refrain ; tous ses poèmes demandent un retour sur eux, s'achèvent sur leur point de départ, comme s'ils gardaient jalousement l'âme de s’évader de la prison du passé. Peut-être le poète eût-il pu grâce à Isadora rompre le destin, mais cet effort plus que tous les autres se résout en tragédie. Lorsque Essénine retourne chez lui, ramené définitivement à son passé, il ne lui reste plus qu'à épuiser un reste de destin. Il voulut mourir en sauvage.
   
(1)    Essénine a été rapidement mis à l’index en URSS : il n’y a pas d’animaux qui se mangent entre eux comme les révolutionnaires (NDLR)

Yggdrasill octobre ou novembre 1938, inédit en volume.


 

     Poésie personnelle
          Ma Vie Sans moi