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cahiers du sud
                  avril 1939
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Armand Robin :

la poésie avant et autour de Ma Vie Sans Moi 

Sans passé - Les Cahiers du sud N° 189 décembre 1936

                  


Sans passé

 

O souvenirs sautant de glaçons en glaçons,

Tels des corbeaux criards sur les champs de l'hiver!

 

*

**

 

Au creux d'une nuit sans visage

Dont il n'est resté témoignage

Dans le regard d'aucun enfant,

Au creux d'une  onde sans rivage

Issu du geste sans espoir

D'un passant sombre et chancelant,

Sec et mat, tombe notre soir,

Ce soir que nous nous composâmes

D'un accord de faux paysages

Construits sur les bords de nos âmes.

 

*

**

 

Évoquons tous deux l'abusive

Chanson.  Les silences bleuis

Serraient des coudes attentifs.

Sous l'oeil de transparents amis

Je reposais sur ton visage,

Hanté d’évasions futiles,

Maint rêve frêle au long des doigts

Et des vols d'amour trop légers

Pour surcharger le dos d'une ombre.

Des deux côtés de notre émoi

S'enfuit le sol  fracassé,

Et, pour flatter nos coeurs nocturnes,

Les groupes lents des lourds espaces

Perdus en des poses sans nombre

Roulaient de brunes chevelures ;

Les voûtes de l'été se brisaient sans effort,

Jusqu’aux confins du temps s’éclaircissait le rire

Du ciel, et l'éther fou recherchait son horloge

Grinçante, qu'emportait un vent sans épaisseur.

 

II

Ce vieil étang ressemble-t-il,

Ma soeur, au désespoir subtil

Où nos riches pays détruits

Glissaient, tristes et gris débris?

 

Silence dans tes souvenirs !

Le long de l'onde aux mains happeuses

De clartés nées pour l'avenir

Défendons nos formes poreuses!

 

Silence ! Arrête ton visage

Prêt à s'enfuir.  Ne souris pas

Pour que, soumis par nos regards,

Notre passé garde sa place

Chancelante parmi les joncs

Pendant cette longue seconde

Mêlée au bout de nos deux doigts !

 

Silence ! O soeur, ne souris pas

Pour éviter que l'horizon

Ne nous apporte le néant

Des lieux où nous voici présents

En ce naïf et  faible instant.

 

*

**

Écoute le temps dur se dépeupler de nous

Et nos oublis vieillir dans les plis de la nuit !

 

III

 

Silence au loin dans ta mémoire !

Garde qu'un sursaut trop songeur

Au détour d'une pensée brusque

N'effarouche les blancs nageurs

Poussant leur route taciturne

Entre deux ondes sans lueur !

 

*

**

 

Passé, mon léger passager

Assiégé par de sourds dangers,

Passé, mon simple passager

Privé des signes salutaires,

Que vont pourchassant les sirènes,

Passé, mon pâle passager

Ne te hâte pas de passer!

 

*

**

 

Écoute le temps dur se dépouiller de nous

Et nos oublis pourrir dans la nuit sans merci ! 

IV

Passé, mon libre passager

Ivre des ombres riveraines,

Passé, mon grave passager

Algue des vagues allégées,

Passé, mon pâle passager,

Ne te lasse pas des sirènes,

Passé, mon frêle passager,

Ni de leurs thrènes mensongers.

*

**

Silence au loin dans notre histoire !

(« Notre » : ne fut-ce pas mirage

Encouragé par trop d'été ?)

Pour que s'attarde notre joie

Malgré les gouffres sans pitié,

Décrétons que, défi  jeté

Par-dessus les arbres sournois,

Notre verte irréalité

Valait mieux que l'autorité

Du plus réel souci des bois.

 

*

**

Écoute nos destins se suspendre.  La vase

Roule pour entourer notre amour écroulé

Une boueuse et gluante éternité.  Seule,

La garde aiguë des longs soucis occupe et nargue

Les rivages peuplés de nos derniers roseaux.

 

V

La solitude contractée

Autour de nos destins ternis

Presse d'immobiles filets.

Branches pointues dans l'air glacé,

Secouez-nous votre ironie.

 

Las de veiller les dieux que nous laissons mourir

Les astres dédaigneux nous voûtent leur sommeil

Et déjà, s'écartant de nos regards trop clairs,

La nuit qui nous liait se déchire en guenilles.

Étrangers devant l'aube, où l'horizon chemine

A grands pas tortueux qu'éperonnent les ronces,

Il nous faut élever nos adieux en réponses

Aux signes blanchissants qu'agite l'avenir.

 

*

**

 

Que ferons-nous d'un ciel privé de notre amour?

Nous restons seuls devant l'horreur de nos vrais jours.

 

*

**

 

Tes pas s'achèvent en broussailles,

Ton fantôme fuit incertain

Comme une brise mal levée

Que n'accueillit aucun matin.

N'entends-tu pas  toi qui défailles

Aux berges des justes clartés

Le rire d'ailes que suscite

Ton faux visage de papier ?

Ne reviens jamais voir le site

Surgi de tes patients mensonges :

L'hymne, tu sais sous quelle aurore

Vide à jamais de tes couleurs

Installe l'or de son triomphe

Sur des cieux nets de toute erreur.

 

VI

 

Ton corps blanc déjà craque aux bras de ton amant,

Mais à l'heure où j'ai vu nos ombres s'effacer

J'ai tué l'oiseau noir qui chantait dans mon sang;

Le bruissement du jour peut désormais verdir,

J'écoute, fier veilleur, sous mon soleil vieillir

L'avril mouillé de pleurs de ton premier baiser.

 

*

**

 

Un poing fait reculer tes traces dans les airs,

Sur les durs rocs rougis se rompent tes grimaces

Qui n'auront pas souillé  de sourire aux yeux clairs ;

Mon âme, repartons pour un plus bel  espace ;

L'univers lumineux recommence aujourd'hui

Et mon pas va crever l'avenir engourdi.

 

*

**

 

Puis je m'endormirai dans un berceau d'oubli,

Heureux enfin parmi la terre bienheureuse.

Le râle du plaisir dans ta chair d'amoureuse,

Le rire dans ta gorge agitant mes sanglots

Ne sauront pas troubler les herbes de mon lit

Et l'azur dansera sans poids sur mon tombeau.

 

Armand Robin, Les Cahiers du Sud, N° 189, décembre 1936. Pour en savoir plus sur les circonstances de la publication voir l'éphéméride à l'année 1936


 

     Poésie personnelle
          Ma Vie Sans Moi