ALAIN : Avec Balzac (N.R.F.)
Un commentaire est un système de rapports avec
un auteur et, dans le cas d'Alain, avec un auditoire; il manque souvent au lecteur d'avoir
été l'élève, l'élu.
L'euvre de Balzac peut assurer un
compagnonnage substantiel pour toute la vie d'un esprit; mais Alain n'apprécie et ne
perpétue qu'« un seul pas de ses plus longues promenades » ; c'est là sa plus grande
force, celle qu'il a le plus subtilement créée: sa marche définitive est un choix
défiant de ses meilleurs arrêts; nous n'avons pas l'opinion de Balzac sur son compagnon
de route.
C'est parfois Stendhal qu'Alain éclaire en
s'aidant des ombres balzaciennes, c'est toujours soi-même qu'il éclaircit ; la meilleure
lecture n'est-elle pas celle que l'on fait au dépens de sa plus forte amitié au
bénéfice de sa plus délicate? Par ailleurs nous ne sommes pas chez Balzac, mais avec
Balzac; confrontation encore plus que commentaire : c'est Balzac qui véritablement
interroge et lit son lecteur, prolonge les pensées d'Alain par l'amplification charnelle
d'un roman, nourrit de références vivantes les créations un peu maigrichonnes de
l'intellect, recouvre de généreuse invention le mécanisme et l'atomisme d'un esprit
assez grand pour se prendre au dégoût de ses aptitudes simplement logiques. |
C'est à son déguisement que se
mesure l'authenticité d'un aveu: « Balzac a ce privilège de rester toujours au niveau
de n'importe quel lecteur ; c'est là qu'il creuse sa propre grandeur » (p. 102). Cette
envie, que trahit le mot « privilège », est belle de la part d'un homme dont toute la
vie fut effort pour passer de la réflexion à la trouvaille et pour transposer en
profondeurs précieuses des préciosités profondes. Le culte d'Alain pour Balzac est bien
le symbole d'une époque malade de la nostalgie du simple. Culte difficile : ne nous
étonnons pas qu'Alain suscite et irrite en Balzac tant d'énigmes et qu'il soupçonne
d'intentions mallarméennes les pages les plus innocemment intelligibles. Pour Alain le
naturel ne peut être que mystérieux. |