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Armand Robin: l'oeuvre libertaire

*   L'un des autres que je fus, version Revue Internationale 1946  *

L’UN DES AUTRES QUE JE FUS

 

Je me réfugiai sauvagement dans le travail de me traduire en ADY à l’heure où je perçus QUE PLUS PERSONNE NE POUVAIT DESORMAIS RIEN DIRE, QUE LE POUVOIR D’EXPRESSION VENAIT DE DISPARAITRE DE LA SURFACE DU GLOBE ; l’homme continuait à remuer les lèvres, mais on venait de lui voler l’usage de la parole ; désastre inouï frappant les consciences par surprise et à leur insu ; désastre fondamental, puisqu’il impliquait, tout nom étant détruit, l’impossibilité de le nommer.

Certaines expressions, que les peuples rencontrèrent dans cet état de somnambulisme qui fut quelques instants avant la totale mort leur condition au 20e siècle portaient en elles, très diffus, les éléments d’une terrifiante révélation ; tout se passa comme si, le temps d’une seconde, NOTRE PROFONDE FATALITE (c’est-à-dire la mort au milieu d’une apparente vie continuant sans rien) avait daigné, par une dérision suprême affleurer dans nos cerveaux en quelques mots dont nous ne pouvions propager que le sens le plus dégradé. Ainsi, soixante millions d’hommes de tous pays, au moment de leur assassinat corporel dans cette guerre, perçurent que cette chose tuante ainsi nommée guerre n’était encore qu’une apparence couvrant une guerre bien plus implacable ; instinctivement et obscurément avertis, ces millions trouvèrent L’INSPIRATION de nommer « drôle de guerre » l’énorme chose qui par erreur les écrasait ; ce fut la DERNIERE expression d’avant L’ERE DES EXPRESSIONS TUEES, où nous sommes.

Contre une telle guerre, il n’est pas trop d’avoir pour abris tous les temps et tous les pays où quelque chose de l’homme fut tellement en vie que cela restera une vie, même si viennent les temps où tous les vivants se hâteront d’applaudir à leur mort. Dans l’ERE DES MOTS TOUS TUES, il n’est pas trop d’avoir pour alliés dans toute ère dans tout pays TOUS LES MOTS en trente langues apparemment différentes qui ont formé une seule et même langue, la langue lance-flammes de l’Esprit.

C’est là pourquoi une fois de plus je fus un autre. Si je ne loge pas chez moi, laquelle des perditions pourrait-elle m’atteindre ? – il se trouva que je rencontrai ADY, c’est-à-dire le poète européen qui, avec Essénine, avait il y a vingt ans déjà le mieux perçu de QUELLE guerre il s’agit dans notre ère.

Par sa vie saccagée, en butte aux attaques de tous, par sa destruction par lui contre lui chaque jour assurée, par sa mort insultée, le hongrois ADY fut au-delà de toutes les patries ma patrie. Son corps carré et cabré, son regard très loin projeté et cependant invinciblement retranché, l’audacieuse pudeur de ses gestes illimités, ses épaules avancées en défi trapu, c’est là le refuge que je me choisis. Je pris bras dans ses bras ; dépersonnalisé, je fus sa personne ; dans tous ses mots apparemment je me suis tu ; je me servis de sa vie pour vivre sans moi un instant de plus.

Les traductions qui suivent sont ABSOLUMENT LITTERALES : même toute syllabe répétée en français fut, d'abord la même syllabe répétée en hongrois. Etienne LAJTI, directeur de l'institut hongrois de Paris, Aurélien SAUVAGEOT, professeur des langues finno­-ougriennes à l'Ecole des Langues Orientales, Ladislas DOBOSSY, répétiteur de hongrois à l'Ecole des Langues Orientales, ont surveillé chaque mot, chaque sonorité de mon texte avec l'impitoyable sévérité nécessaire ; qu'ils en soient ici très chaudement remerciés.

 Armand Robin

Ce texte constitue une version préparatoire de la préface des poèmes d'Ady publiés en mai 1946 aux Editions anarchistes, et qui sera modifiée à nouveau pour les éditions du Seuil en 1951. Il a été publié dans la Revue Internationale en janvier-février 1946 avec une présentation d'Ady par Aurélien sauvageot, et 6 poèmes figurant dans l'édition anarchiste, mais avec parfois des variantes assez importantes, comme si le travail de traduction n'était pas encore arrivé à son terme.

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