Cet anarchiste paisible -si présent et si absent, hors
des lieux et du temps- trouva dans notre temps, jusqu'à vingt-quatre heures par jour,
d'où résultait une énorme consommation de papier. La famille dont le poète était
tragiquement séparé depuis de nombreuses années, ayant renoncé à la succession, son
appartement était sous scellés, et c'est en une demi-heure que Georges Lambrichs et
moi-même -grâce à une autorisation providentielle - dûmes litéralement arracher de
sous les pieds des déménageurs, de nombreux éléments, morceaux, fragments, lambeaux,
brouillons -d'une immense montagne de papiers -sa vie entière - qu'il semble que le
poète, avant de sortir pour la dernière fois, ait répandue rageusement dans sa chambre
(?) La Société Protectrice des Animaux, elle, avait obtenu une première levée des scellés pour venir chercher un écureuil en liberté, couché sur les registres du Commissariat de la rue de Bourgogne, à Paris (chez les hors-la-loi, comme il disait), mais disparu non moins mystérieusement que le poète. Les déménageurs eurent vite accompli leur besogne. Les neuf dixièmes de la montagne aux trésors sont aujourd'hui retournés à la terre -à la terre ou à la mer: ce n'était plus même l'affaire des déménageurs mais des cantonniers. Ces poèmes seront jetés à la mer. Puis que viennent les plus fortes vagues pour les perdre. |
Ce témoignage d'Henri Thomas est paru dans
la revue Cahiers des saisons, hiver 1964, éd Julliard