On dit quelquefois que j'ai bien connu Robin. (...)
C'est vrai que je l'ai vu assez souvent et depuis 1940 et pourtant on peut voir un poète
et ne pas le connaître, le reconnaître. J'ai mis longtemps à connaître Robin, à le
reconnaître comme poète et je l'ai vu surtout comme un errant. Ce n'est pas en France
que je l'ai rencontré d'abord, c'est à Londres. Il revenait d'Ecosse en motocyclette. Il
avait une énorme machine et il manquait d'essence. Il transportait quelques livres sur
son tandem, des livres dépenaillés, des grammaires... et il s'intéressait à des choses
bizarres, à des inscriptions sur les murs qu'il déchiffrait bizarrement. Mais enfin
est-ce que ça suffit pour faire un poète? C'est un errant rapide, - il n'avait pas l'air
de regarder tellement les choses autour de lui - et un homme préoccupé ne disant pas
trop ce qui l'occupait. Il retournait en France, il avait l'intention d'aller en Espagne.
De quoi vivait-il? Il ne disait pas du tout ce qu'il écrivait ni même ce qu'il lisait.
Il posait des questions. Et moi, je l'ai revu comme ça jusqu'à la fin. C'était pourtant un homme masqué mais il était bien organisé pour se cacher, pas du tout qu'il fût hypocrite ou maniganceur, il était même très naïf. Les choses qu'on disait secrètes, il en faisait même lecture sur la place publique, en disant que c'était secret; il le lisait sur le parvis de Notre-Dame à quelques amis d'une voix tonnante. Et il aimait assez rire et pleurer aussi. Il était accessible à des émotions contradictoires et je n'aurais pas su sir à ce moment-là qui il était. (...) Il était errant même à Paris. Personne au fond, très peu de gens l'ont vu dans son milieu natal, dans la poussière. On l'a toujours vu hors de chez lui et même hors de son chez soi provisoire: à Paris, qui allait le voir? Personne ne l'a vraiment vu vivre sa vie quotidienne, seul avec sa solitude qui lui tenait compagnie - on peut dire - et ses animaux domestiques, son écureuil, son chat, - il aimait beaucoup les chats aussi. Et voilà les poèmes... (...) Je ne savais pas d'où sortait Robin. Il y avait une forge où il avait forgé ses outils, et je dois dire que je ne l'ai jamais interrogé là-dessus. Que m'aurait-il répondu? Il ne faisait pas de confidences tellement; c'est seulement maintenant après avoir travaillé un peu à le connaître que je me suis posé la question. D'où venait-il? Bien sûr de la Bretagne, mais de l'éternité aussi, c'est la même chose. |
Ce
témoignage oral d'Henri Thomas figure dans le dossier Hélias. Il a été
réalisé pour la télévision régionale sous la direction de Paul André Picton en
1968-69.