Ce qu'on retrouve dans toutes ses tentatives,
c'est sa relation avec le langage, qui m'a toujours paru très curieuse; sa façon de
déformer les mots et, par exemple, d'appeler les arbres "ces curieux animaux
végétaux". Cela me semble très étonnant, à travers les mots, de prendre la
réalité comme quelque chose de baroque, de pas tout à fait approprié à lui, Armand
Robin, et puis d'y trouver des failles, de s'échapper par là. Ce qui m'a paru aussi
surprenant, c'est sa façon de faire sonner les mots; quand on parle de musique
généralement, ce n'est qu'une image. Mais là il y avait une façon de heurter les
consonnes, d'aller jusqu'à des assonances presque risibles, et qui ne le sont pas; une
façon de heurter les mots, un petit peu comme un sauvage très subtil qui retrouve une
façon de faire tinter des pièces que nous avons pu nous passer de mains en mains sans
les écouter; une sorte de sorcellerie par application ou plutôt attention. (...) Il avait un angle tellement curieux sur les choses, qu'il était impossible de prévoir ce qu'il allait dire du phénomène le plus banal. Une balle de tennis qui roule sur une pelouse de Londres, ça lui suggérait quelque chose qui était merveilleusement incongru et juste. Il avait en lui l'évidence poétique, et c'est une chose extrêmement rare. Il le payait cher. (...) Il était totalement imprégné d'une réalité qui nous échappe - entièrement enfouie dans la nature; quelque chose qui vient d'un monde que nous ne comprenons pas. |
Ce témoignage d'Henri Thomas est paru dans la revue Cahiers
des saisons, hiver 1964, éd Julliard.