Nous avons réalisé, A. Robin et moi-même, pour le
compte du Club d'Essai de la R.T.F., dix-huit (sic) émissions sur des poèmes en
dix-huit langues, traduits par notre sorcier, et présentés de manière à donner à
l'auditeur -par oppositions et superpositions de la langue originale et de la traduction,
- le sentiment qu'il les percevait dans leur forme primitive. Ainsi, ai-je vu mon ami,
parfois à longueur de nuit, travailler « son à son » en un univers d'incantation
universelle, où le latin de Virgile venait soutenir dans sa transmutation le suédois de
Frôding. Ainsi, ai-je constaté, souvent après quelques hésitations, la stupéfaction
des récitants étrangers (certains, par exemple, professeurs à l'Ecole des Langues
Orientales) devant la fidélité unique de ce non-traducteur, en précision, en
profondeur, en musicalité. Précision ? Ce mot, selon les poèmes, peut s'entendre de
manières diverses. Il demeure qu'Armand Robin n'a pas plus inventé en
tchérémisse-des-prairies qu'en anglais. La seule différence, c'est qu'il parlait
vraisemblablement mieux le tchérémisse. Il parlait couramment hongrois, mais jugeait
inutile de perfectionner son anglais. Cependant, traduisait-il un poème anglais, ou
s'attaquait-il en huit jours au flamand (parce que je lui avais dit : «Existe-t-il une
poésie flamande contemporaine? » il prit alors immédiatement le train pour la
Hollande), il s'entourait humblement de tous les conseils des spécialistes... et de son
intuition, mais, à force de recoupements linguistiques, l'intuition n'était pas livrée
au 'hasard. C'est par le courant de sa passion, nous le savons, ou de sa non-passion, comme il eût dit, c'est-à-dire par cette vacuité frénétique épousant la passion de son modèle, qu'il ramenait les poèmes à leur terre - redécouverte, à leur ton primitif. Le grand Giuseppe Ungaretti m'a dit un jour (j'ai consigné ses propos avec précision): Mes poèmes traduits par Robin, c'est moi plus Robin. Il m'a saisi aux racines. Il y a sous terre une seconde floraison. Je ne sais plus quel est l'endroit. Nous sommes un arbre double. Identiquement venus de rien » - comme la terre. |
Ce
témoignage de Claude Roland-Manuel est paru dans la revue Cahiers des saisons,
hiver 1964, éd Julliard