C'est cet homme rare mais qui se veut ignoré, méprisé des hommes, que j'ai connu, rasant les murs, s'écartant des cercles d'amitié, faisant le procès de ceux qui tolèrent la religion de la réussite. Humilié certes, malheureux plus encore, incapable surtout de se couler dans un monde qui ne nie que trop ouvertement le rayonnement spirituel, il était sûr, rentré rue Falguière dans ce que certains ont appelé son taudis, de prendre sa revanche. C'était, la revanche de la nuit sur le jour, l'oubli de ses défaites dans des poèmes indésirables, l'attente d'un homme blessé qui ne peut fuir son Christ - ce qu'il voudrait faire cependant - qu'en s'identifiant à sa croix.
" Le monde d'une voix " est le livre d'un persécuté, d'un écorché vif, d'un affamé de justice. Le livre d'un enfant de la lande qui a cru que le monde saurait le reconnaître - et qui sait? - le fêter comme un prince - et il l'était, à sa façon, ce prince de lumière ! - mais le monde n'a pas cru à cet homme qui ne savait pas briller en société, qui se ramassait sur ses sentiments, qui n'allait vers les autres qu'en n'oubliant jamais de se méfier.
Sa vie fut plus obscure que son oeuvre, sa mort fut une énigme. C'est sous les pieds des employés municipaux, que Georges Lambrich et Claude Roland-Manuel ont ramassé les pages, les poèmes, les fragments qu'Henri Thomas et Alain Bourdon aujourd'hui nous permettent de lire. A peine mort, on vidait en effet l'appartement de la rue Falguière où Robin, sorte de Léautaud plus ténébreux, vivait avec un écureuil.
Poète maudit et qui sans doute se voulait tel. Mais non, il eût aimé un existence différente, il aspirait à la lumière, il croyait aux petits, aux humbles, aux ouvriers, aux paysans. Toujours son coeur fut fidèle à sa lande. Il ne parlait de Plouguernével qu'avec pudeur, mais assez pour qu'on sût qu'il y était souvent, qu'il y était toujours.
"Je ne suis pas adroit, je suis droit", écrivait cet homme qui avouait ne pas avoir "un seul cheveu de tranquillité". Cet homme qui m'honora d'une amitié soupçonneuse, difficile, orageuse, toujours remise en question, ne s'est pas éloigné avec son secret. Toute sa blessure est dans ce livre posthume. Un grand livre vrai. Un livre qui doit tout à la vie, à la souffrance et non à la littérature. Le livre d'un homme en face de son destin et non celui d'un esthète, d'un laborantin. Armand Robin, qu'on le sache, ne va plus cesser de grandir.
Ce témoignage de Charles Le Quintrec est paru dans la revue La Bretagne à Paris du 15/11/1968, sous le titre Armand Robin tel que je l'ai connu.