Un jour, Il m'a écrit.
Il m'a envoyé une somme d'argent et m’a demandé de
venir le voir à Paris. J’ai spontanément répondu à son
invitation. Durant toute une nuit, il m'a lu le texte
d'un roman qu'il était sur le point d'achever et dont
le contenu m'avait d'ailleurs vivement intéressé. La
tonalité de Kafka se faisait sentir. Robin contait
l'aventure métaphysique de son héros venu de Bretagne
et qui doit finir par disparaître à son point extrême
de dépersonnalisation. Le style prosodique était
neutre, fait d'une grisaille supérieurement maîtrisée,
très caractéristique chez Robin. Cet ouvrage est
certainement resté inachevé et peut-être même l'a-t-il
détruit parce que trop personnel, car personne n'en a
entendu parler.
Cette nuit nous permit une sorte de dialogue dont
j'ai retenu l'essentiel.
Le pessimisme de Robin m'avait frappé. Il prévoyait
ce vers quoi nous nous dirigeons en aveugles,
provocateurs des craquements. Il avait rêvé d'une
humanisation de ce que Malraux appelle « les
héritiers de la terre entière ». Malheureusement,
tout le sang gaspillé dans l'absurde n'avait pas
supprimé l'absurde. Le message de Kafka demeurait
plus prophétique que jamais. La notion de progrès
spirituel réel et non plus théorique s'immobilisait,
se figeait dans les Académies et dans les Musées
chers à l'auteur de la Condition Humaine et à
Berenson. Le peuple, si riche, dormait (il dort
toujours, d'ailleurs). Quant aux poètes, ils avaient
été assez crétins ou épiciers pour s'engager dans n
importe quelle idéologie politique. (Même Éluard ne
fut pas épargné.) Il me dit : « En poésie, une seule
politique est pensable, et je devrais plutôt dire
une technique, une exploration, c'est la Poésie,
tout simplement. » Je m'étonnais un peu de
l'entendre formuler de telles vérités, le sachant
très discret dans l'appréciation des formules. Nous
parlâmes longtemps, longtemps... Son dédoublement
poétique m'impressionnait.
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