C'est à Combat que je fais la connaissance
du poète de Ma vie sans moi, paru en l940, du « roman breton » Le Temps qu'il
fait, paru en 1943. Il apporte tous les soirs à Pascal Pia son bulletin d'écoutes
des radios étrangères, précieuse source de renseignements : il est un des rares à
capter par exemple la radio chinoise et à en donner en français les informations. Comme
je m'étonne de sa connaissance de tant de langues étrangères - il dit en connaitre
soixante : « Rien d'extraordinaire, elles vont par familles, si tu connais la mère, tu
connais toutes celles qui procèdent d'elle, ainsi, pour le slave... » C'est un petit Breton râblé aux yeux gris, sourire aux lèvres et verbe précipité. Toujours un peu fébrile. Il nous a donné, à La Revue internationale, des poèmes du grand poète hongrois André Ady. Comme pour tous les poètes qu'il traduit, c'est, en l'occurrence, avec Ady qu'il veut se confondre. Significative, la présentation de sa traduction, où il est plus question de lui que d'Ady, en des lignes qui le peignent tout entier : « Je me réfugiai sauvagement dans le travail de me traduire en Ady à l'heure où je perçus que plus personne ne pouvait désormais rien dire, que le pouvoir d'expression venait de disparaître de la surface du globe... » Et c'est à une transsubstantiation en Ady qu'il nous fait assister : « ... Par sa vie saccagée, en butte aux attaques de tous, par sa destruction par lui contre lui chaque jour assurée, par sa mort insultée, le Hongrois Ady fut, au-delà de toutes les patries, ma patrie... » Armand Robin avait toutes les raisons de se tenir, lui aussi, pour un persécuté. (...) Toutefois, Armand Robin est aussi journaliste. Un journaliste bien particulier : il s'est donné pour tâche d'écouter les radios étrangères, toutes les radios, celles aussi qu'il est interdit d'écouter. Il en tire un bulletin dont ses clients sont friands, en premier lieu le ministère de l'information. Il ne croit pas plus qu'un autre à la soi-disant indépendance de l'État français. Par Vichy interposé, ne rend-il pas par là même service à l'occupant? Il fournit également son bulletin à L'Humanité, qui l'en remercie et lui offre même de le rétribuer, ce que, naturellement, il refuse : tant mieux si, de l'autre côté, on tire profit de ses informations. Il les fournit gratuitement, sans penser faire par là acte de résistance. Quand, en 1944, les jeux sont faits, au lieu de solliciter des témoignages de ses anciens amis communistes, il s'en garde, n'étant plus d'accord avec eux, et se livre au contraire à des déclarations intempestives sur la Russie de Staline. Ce n'est vraiment pas de saison. Outre que les amitiés qu'il a nouées là-bas - il s'était rendu en URSS en 1932 -, c'est avec les pestiférés du régime, Pasternak par exemple. Il oublie que l'URSS a été notre alliée dans la guerre, à oublie surtout que, sur le Comité National des Écrivains règne, tout-puissant, Aragon. Celui-ci ne se fait pas faute de lui coller sur le dos l'épithète de « trotskyste ». Elle est infamante en un temps où ne sont pas encore dissipées les fumées de l'ignoble calomnie stalinienne, propagées par les Procès de Moscou, sur l' « hitléro-trotskysme ». (...) A Combat, Pascal Pia et Camus connaissent Robin. Ils ne partagent pas son attitude, mais la comprennent. Ils sont persuadés de son intégrité. Ils sont même heureux d'utiliser pour Combat, quotidien de la Résistance, les services d'un journaliste compétent, seul à exercer l'activité à laquelle il voue ses jours et ses nuits, et souvent mieux renseigné sur les imbroglios de la politique des grandes puissances que les services officiels. |
Ce témoignage de Maurice Nadeau est extrait
de son livre: Grâces leur soient rendues, mémoires littéraires, éd Albin
Michel, 1990.