![]() Ce fils de paysan breton avait quitté la ferme pour se vouloir professeur; il n'avait pas obtenu les diplômes qui lui auraient assuré -peut-être -une vie stable, mais il possédait le génie des langues qui aurait pu faire de lui un prestigieux professeur au Collège de F rance. Il portait l'anarchie en lui et sur lui comme une protection contre la société où il s'acharnait à défendre son intégrité, tout en se voulant comme Claudel le conquérant du monde visible et sensible, le "rassembleur des terres étrangères ou ennemies" pour n'en faire plus qu'une à la mesure de l'Unité de l'Homme. Cette unité-là, il la rechercha toute sa vie dans la fièvre avec laquelle il pénétra plus de vingt langues pour les bien posséder. Il y mettait la virilité de l'amoureux et il avait parfois des réactions de lassitude envers une langue trop soumise ou des réflexes de jaloux lorsqu'un autre avait traduit la même poésie que lui. Cher Armand, tu insistais souvent, comme faisait cet autre sourcier du langage, Audiberti, sur l'impossibilité de saisir la réalité des êtres et des choses dans le moment présent, comme si l'on ne savait voir vrai qu'avec un peu de recul. Eh bien, je n'ai pas pu te voir tel que tu étais tant que tu as vécu: de la race des poètes maudits, de cette race qui fait de sa misérable condition une des raisons de son génie, Car tu avais une étincelle de génie, Armand. Il t'a manqué le temps de mettre le feu à tout ce que tu contenais d'exceptionnel. Quelle chance qu'on ait pu sauver de la destruction tous ces poèmes de toi, toutes ces méditations que tu n'avais pas osé confier à ton éditeur, car tu étais modeste. Le monde d'une voix, qui vient de paraître, est un recueil bouleversant par sa sincérité d'écorché vif. Tu t'y montres "seul, seul, déserté, dédaigné ". Ah, comme on regrette de n'avoir pas mieux su te dire notre estime, notre admiration, de n'avoir pas connu les remèdes qui auraient pu t'empêcher de nous quitter si vite et si tragiquement! Nous chantons sous la nuit sans espérance Non, Armand, la splendeur de la conscience n'est jamais inutile. Mais on te comprend d'en avoir douté. Tu fus une "conscience" de l'Humanité en proie à ses déchirements. Tu voulus tout unifier par la juste pulsation des mots et par les mots du coeur. Et tu t'aperçus un jour que tu n'avais pas même été capable de réaliser l'unité de ton être, C'est fini, je descends dans la mort sans un cri Tu resteras parmi nous, Armand, pour tous ces cris fraternels que tu as lancés dans ta vie -dans la nôtre - et ton oeuvre fugitive mais incomparable perpétuera l'éveil des grandes choses vraies. |
Ce témoignage de Robert Mallet est paru d'abord dans le bulletin de la Compagnie
Dramatique du Nord en 1968, puis dans les Cahiers Bleus du printemps-hiver
1980