Armand Robin, à l'époque, avait l'air gauche
et maladroit. Il était habillé comme au marché de Rostrenen, avec des souliers criards.
Et, avec cela un accent pas possible. Il était très brillant à l'écrit, mais pas du
tout dans le discours. Il voulait écrire. Mais il était incapable de faire carrière. C'était un paysan du Danube. D'ailleurs, je crois que c'est cela qui l'a fait échouer aux concours d'entrée à Normale Sup. et de l'Agrégation. Il était toujours le premier des recalés. Tout le monde lui reconnaissait sa culture, mais on devait se dire qu'avec son allure et son accent, il ne pouvait pas enseigner: il aurait fait rire ses élèves. Il y aurait eu le chahut. Je crois que cela a joué dans ses échecs à des concours qui débouchaient sur l'enseignement. (Plus tard, après la guerre...) Il venait chez moi plusieurs fois par an, et il passait quelques jours à chaque fois. Quand il venait, c'est qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas... il était fauché ou autre chose. Chez moi, il était à l'aise il avait une chambre, la télévision, le téléphone, le téléscripteur. Mon mécano lui arrangeait sa voiture. Il avait une vieille bagnole brinquebalante. Si j'étais occupé au journal et que je devais me déplacer, il restait seul à la maison. Il avait une clé et il savait où se trouvait ce qu'il fallait pour manger et boire. Des fois, quand je suis arrivé le soir, je l'ai trouvé attablé devant une boîte de sardines mais avec une bouteille de vin de grande marque. Il mélangeait tout, comme ça, ça ne le dérangeait pas. Même quand il était chez moi, il continuait son travail: il prenait les nouvelles la nuit, jusqu'à 3 - 4 heures du matin, puis allait porter cela aux journaux... il se servait de mon téléphone. |
Ce témoignage d'Yves Lavoquer est paru dans la revue Frontières,
hiver 1980-81