Le live
est là, devant mes yeux et une bouffée de souvenirs m'étreint. C'était il y a vingt
ans dans un local étriqué où nous étions réunis à quelques-uns. Sur le canal
Saint-Martin une péniche passait donnant une vie irréelle à ce quartier mort. La discussion se poursuivait, passionnée. Au fond de la pièce, autour du poêle, deux hommes silencieux écoutaient. Ce serait de grands poètes et nous ne le savions pas. Lun venait d'être embauché pour faire le grouillot au Libertaire, il s'appelait Brassens. L'autre maigre, voûté, le teint blanchi par des nuits de veille à écouter les radios étrangères, appartenait au même groupe libertaire que Brassens. Il s'appelait Armand Robin. La vie a dispersé cette équipe. D'autres le sont reformées dont la dernière est celle de la Rue. Mais le temps qui dis1oque les rêves prend parfois un malin plaisir à nous le rappeler. Le souvenir peut alors prendre laspect d'une chanson de Brassens. Aujourd'hui c'est Armand Robin, toujours silencieux, qui vient frapper à la porte de notre sensibilité. Ecoutons ce poème, né peut-être au bord du canal alors qu'une péniche passait, fendant le plan d'eau froid comme du métal, et que nous avions le projet de transformer le monde. Nous fûmes des gens d'un très
pauvre monde Je ne devais revoir Armand Robin que bien des années après, au Château des Brouillards, alors que notre famille spirituelle déchirée reprenait un nouveau départ. Toujours silencieux, il écoutait attentivement avec, sur le visage, ce sourire las et mystérieux. Je savais alors qu'il était un des plus authentiques poètes de sa génération et c'est à travers lui que j'avais découvert la poésie révolutionnaire hongroise. Puis Robin s'en est allé pour revenir dans l'éclair d'un fait divers. [...] Le Monde d'une voix possède un ton dont l'origine se perd dans la nuit des temps, que Villon a retrouvé, que Saint-Amand a transmis, que Breton et les surréalistes ont popularisé. C'est une des tâches de la poésie actuelle de ne pas laisser éteindre cette flamme qui doit se transmettre jusqu'à l'aurore qui se lèvera un jour chassant les sociétés de nuit. |
Ce
témoignage de Maurice Joyeux est paru dans la revue La Rue en mai 1968