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Armand Robin: témoignages

- Philippe Jaccottet -

livrevieux.gif (469 octets)Si je me permets d’annoter ici ou là les "non-traductions" d’Armand Robin, ce ne sera pas sans avoir dit d’abord quelle admiration j’éprouve non seulement pour elles, mais pour cette sorte de monstre de proie qu’on voit fondre tantôt sur un poème chinois du VIIe siècle, tantôt sur une chanson bretonne, tantôt sur des œuvres toutes proches, Ungaretti, Pasternak, Attila Joszef. Qu'il rapproche ainsi les terres et les temps les plus éloignés, Robin demeure à l'opposé de l'éclectisme. Sans aucun doute, presque toujours les textes le choisissent. Leurs auteurs, comment dire en quelques mots leur parenté? On dirait qu'ils ont la vie sur la langue comme une graine de piment rouge.

De la plupart des poèmes ici groupés. je ne puis rien dire d'autre, sinon que beaucoup m'émerveillent, et que j'en aime profondément quelques-uns (parmi lesquels je citerai en tout premier lieu Tou-Fou). Mais peut-être quelques notes concernant les seuls poèmes dont je connaisse les originaux: (ceux d'Ungaretti) intéresseront-elles les traducteurs.

Il n'était sans doute pas essentiel, mais nullement indifférent pourtant que les poèmes d'Ungaretti, dans le texte qui parut chez Mondadori en 1947, fussent groupés en un certain ordre: une suite de dix-sept petits poèmes. intitulés Giorno per Giorno, refaisait le douloureux chemin du deuil. Armand Robin n'en a choisi que quelques-uns, j'aurais voulu qu'il les reprît tous, ou qu'il signalât son choix. Mais des détails m'intéressent davantage. Presque toujours, Robin traduit mot pour mot, introduisant de ce fait dans le français, où elles prennent un accent particulier par la surprise, des tournures familières à la langue étrangère; en ce sens, son travail nourrit notre langue et aboutit à un texte français vigoureux, parfois rude, par une littéralité qui est en fait une liberté. Mais qu'il s'écarte de cette littéralité, comme il est parfois nécessaire, un sens aigu de l'efficacité du mot le conduit: ainsi, dans une réussite parfaite comme Le Temps s'est fait muet, au dernier vers.

Tout à la fin de cette suite de poèmes où Ungaretti p1eure la mort de son fils, il entend l'ombre de celui-ci qui lui parle et lui dit : Sono per te l’aurora e intatto giorno. Je me souviens de l'intensité que le poète voulait donner à cet adjectif qu'intact traduit médiocrement, et qui doit faire rayonner cette clarté surnaturelle, inaltérée, inaltérable. Quand Robin, rompant avec le principe de littéralité, traduit : je suis ton point du jour, puis ton jour tout le jour, j’admire qu’il ait su, par ce détour, restituer sa force et sa lumière au vers; mais dans sa réussite même il rompt le ton d'Ungaretti, auquel, en cet endroit du poème, ne me semble pouvoir être concédé autre chose que l’extrême simplicité. Ce goût de Robin pour le mot à tout prix efficace, son horreur des molles harmonies, peut l’entraîner plus loin, soit sur le chemin de la littéralité, soit sur celui de l’interprétation, et c’est alors que je le surprends dans des interprétations qui me gênent. S’il traduit rivenire incontro, qui signifie tout bonnement revenir à la rencontre de, par revenir là contre, je vois encore l’invention se fonder sur la sonorité italienne, et peut-être se justifier ; mais s'il traduit glorie par gloriolités et declinare par avoir des déclinements, je n'entends plus alors que la fureur verbale propre à Robin seul, et je ne comprends pas ces éruptions: bien sûr ! il ne traduit pas, et pourtant... Partout ailleurs, il cède la parole. La plus haute ambition du traducteur ne serait-elle pas la disparition totale ? N'y a-t-il pas dans le poème, plus importante que l'efficacité de chaque terme, la ligne d'un chant ? C'est à elle du moins que je suis toujours sensible:, et c'est sans doute pourquoi je suis sensible également aux trouvailles qui la rompent. Et je comprends maintenant pourquoi me paraissent si beaux les poèmes de Tou-Fou : non parce qu'ils seraient les plus fidèles (je n'en sais rien), mais parce que je n'y pense plus à Robin, ni à toutes ces chicanes.

 
      Ce témoignage de Philippe Jaccottet est un article du N° 16 de la nrf paru le 1er avril 1954.