Robin, poète de Ma vie sans moi, a récusé d'avance tout
historiographe, tout biographe, tout chroniqueur de son existence puisqu'il voulut se
donner sans sa vie. Et (
) ce que Robin avant tout refuse, c'est justement d'être
"quelqu'un". Armand a voulu que son destin, en tant que destin individuel, soit
ignoré; il a passé son temps à "s'enfouir dans les siens", dans ses
ancêtres, dans le terroir et, aussi, dans les autres grands poètes. L'existence, comme celle de nous tous, d'un Armand Robin qui naît, passe et meurt, n'a aucune importance: tout son effort ayant été de s'effacer dans ceux auxquels il devait tout, paysans, prolétaires, "grands", ayant été jusqu'à souhaiter ne pas avoir de raison sociale. Hélas! "un lieu m'a", devait-il constater dans la Fausse Parole, un lieu me possède, j'habite quelque part. A Roger Toussenot, l'un de ses amis qui lui demandait, un jour, ses projets, il répondit: "je fais de la poésie, je travaille dans la poésie : je ne suis pas poète!"; travailleur, travailleur anonyme couvert par la poésie. Armand Robin n'était pas, comme on l'a dit, animé d'une rage à se détruire; en réalité, il ne cessa d'être prêt, prêt notamment à travailler comme les siens. Son besoin fondamental fut d'être un homme, non pour lui-même mais pour les autres, et c'est là que s'enracine son besoin foncier de disparaître. Il ne se rend jamais assez humble, il n'est jamais assez enfoui dans l'humanité, dans la terre, dans la langue; son rêve est de revenir au temps où "l'homme ne se savait pas important". Le moyen, cependant, d'être tout de même fut alors pour lui d'exister par la pensée, par la vie spirituelle, de façon si intense que le "personnage" Robin perde dès lors toute importance. La volonté d'Armand Robin fut toujours de prêter sa voix à d'autres, du Temps qu'il fait au Monde d'une voix, titre emprunté au vocabulaire même de Robin par Henri Thomas qui me paraît particulièrement significatif quand il s'agit de présenter un poète dont le souci majeur fut de créer des voix qu'il tentait, sinon d'accorder, du moins de réconcilier. A partir de là, peut-être, pourrait-on frôler la vie d'Armand Robin. |
Ce témoignage d'Alain Bourdon
est paru dans la revue Etudes, janvier 1969