Ce
n'est ni un romancier, ni un poète, ni un traducteur. Il semble bien que, depuis fort
longtemps, il ait fait éclater toutes les définitions possibles. Infatigablement, il
tente de recréer ce qu'il touche, les phrases, les mots, les sons. Il n'est pas de plus
grand tourmenteur du langage. Pour lui, le son importe d'abord. L'image, avant tout
s'adresse à l'oreille. Lui-même l'affirme: L'oreille voit. Il connaît plus de trente langues et, quelles qu'elles soient, il les réduit à sa manière, les revivifiant dans une nouvelle et étonnante projection par on ne sait quelle magie, dont jalousement il détient le secret. Que d'une telle bataille de mots naisse la paix ou l'angoisse, lui seul pourrait nous le dire. Mais qu'on l'interroge, il restera muet quelques instants, souriant en lui-même, agréablement, de quelque mystification qui le remplirait d'aise et, finalement, en guise de réponse, sortira de sa poche une feuille dactylographiée, maintes fois pliée et dépliée, cent fois lue, mais quand même pour lui et pour nous, découverte de chaque instant: sa dernière rencontre avec Tou-Fou ; à moins ce ne soit, tout aussi poétique quelque virulente protestation contre l'ordre établi et ses gardiens, qu'il a, une fois pour toutes, baptisés "hors-la-loi" et chaque fois il a, pour les nommer, un inimitable et féroce mouvement de la bouche ( ) Le paradoxe lui plaît, mais il n'en fait pas une loi. L'insolite l'attire, mais il y vit, s'y meut comme de la plus naturelle démarche. Il joue de l'humour comme d'une inséparable balle attachée par un fil et qui revient, rapide et surprenante, chaque fois qu'on la chasse.
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Ce témoignage de Marcel Bisiaux est paru dans la revue Arts,
24-30 avril 1953