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Armand Robin: témoignages

Dominique Aury

livrevieux.gif (469 octets)L'activité de Robin traducteur, c'était le phénomène en soi. J'ai été, un moment donné, secrétaire de la société française des traducteurs et comme telle, je faisais du recrutement des traducteurs qui voulussent bien faire partie de la société, qui s'inscrivaient et qui, bien sûr, versaient une cotisation: c'était un point très important car nous étions très pauvres.

Et j'ai accroché Armand en lui disant: "Vous ne pouvez pas ne pas être de la société des traducteurs; ce sera utile pour les autres. Les autres ne vous serviront à rien, mais vous, votre présence, votre nom, leur serviront". Alors ça, c'était un argument auquel il était sensible: faire quelque chose pour les autres. Il voulait avoir une solidarité dans son travail.

Je lui ai donc apporté une feuille pour s'inscrire. Là les difficultés ont commencé parce que la feuille était trop petite: c'était un format normal sur lequel on devait inscrire les langues dont on était traducteur; et lui traduisait en français du russe, de l'anglais, de l'italien, de l'arabe... Et ça a commencé à se gâter: il y avait des langues absolument incroyables, aussi insolites que le kirvise ou le turc. Il y en avait tellement que la feuille a été trop petite. Alors j'ai sorti une deuxième feuille que j'ai épinglée à la première, et quand ça a été rempli, je lui ai dit: "Bon, maintenant vous me devez 1000 francs.

- Bon, dit-il, mais à une condition, c'est que vous vous engagiez formellement à me faire attaquer en tant que traducteur dans Le Figaro Littéraire, qu'on fasse sur moi un grand papier comme traducteur et comme mauvais traducteur. "

Je luis dis: "Armand, c'est une mauvaise plaisanterie! Je ne ferai jamais ça!"

Il a pris la feuille et il l'a déchirée. Il n'a jamais fait partie de la société des traducteurs.

(...) Ses traductions de poèmes étaient quelque chose de fabuleux. Je ne peux en juger que par les traductions de l'anglais qu'il avait faites, par exemple, la traduction d'un poème célèbre d'Edgar Poz, pas très bon, qui s'appelle "le corbeau", le corbeau, qui est debout sur le buste de l'allée au-dessus de la porte et qui dit "never more". Il était arrivé à traduire "le corbeau". Ce poème est fait d'un assemblage de rimes et de rythmes, et de rimes internes, qui est une espèce de pièce d'horlogerie au point de vue prosodie tout à fait extravagante! Il est arrivé à la traduire en fabriquant également une pièce d'horlogerie également extravagante. Il est arrivé à ce chef-d'œuvre, de calquer presque même les sons du poème anglais en français. C'est absolument de la magie, d'ailleurs dépensée sur une substance qui n'en valait pas la peine, à mon avis.

 
       Ce témoignage de oral de Dominique Aury figure dans le dossier Hélias. Il a été réalisé pour la télévision régionale FR3 Bretagne sous la direction de Paul André Picton en 1968-69.