Armand Robin,
retour à ND de Campostal, Rostrenen, 1956II est entré dans la cour de récré par la
lourde porte donnant sur le vieux manoir. Il avançait lentement, un peu voûté, la
cigarette aux doigts. Nous l'avons pris pour un clochard. Nous avons aussitôt arrêté
notre partie de foot. Il s'est dirigé vers l'abbé Piriou, notre prof d'anglais, qui
jouait avec nous en soutane et en sabots. Ils se sont dit quelques mots. Puis il est
reparti par la même porte, au fond de la cour. L'abbé Piriou nous a dit : « C'est
Armand Robin, un grand poète». Dans ma tête de paysan, j'imaginais les poètes mieux
habillés. Et surtout mieux rasés. J'avais 16 ans. Je venais d'entrer en seconde. On
était en 1956.
Pour rejoindre notre classe, il nous fallait passer par le couloir d'entrée du vieux manoir. Il était là, assis sur un banc, encore plus voûté qu'avant, regardant vers ailleurs sans nous voir. La classe de seconde, au premier étage, était le domaine de l'abbé Le Dantec. [...] En fixant la cour de ses yeux bleus, il nous a sorti quelques mots sur Armand Robin. Je n'en ai retenu qu'un seul : « un génie ». Aujourd'hui je regrette de ne pas avoir davantage profité de cet instant. De ne pas m'être arrêté dans ce couloir pour chercher son regard et l'écouter parler. On est un peu bébête quand on a seize ans. Je n'ai appris que bien plus tard la raison de la présence d'Armand Robin dans ce couloir de Campostal. Il ne jouait pas les revenants d'un collège duquel, avant-guerre, il avait été viré pour anticléricalisme. Il venait voir le supérieur actuel du collège, l'abbé Radenac, un drôle de curé, engagé dans la Résistance à seize ans et que les commerçants de Rostrenen qualifiaient de communiste. Radenac était un fidèle de la revue Esprit. Bien plus tard, alors que séminariste, je m'aventurais sur une fausse piste, Radenac m'a montré fièrement dans sa bibliothèque tous les numéros de la revue. Armand Robin, dès qu'il passait à Rostrenen, venait saluer un des fidèles lecteurs d'Esprit, une revue humaniste à laquelle il collaborait. Radenac l'invitait à la table du réfectoire. À cette occasion, nous avions droit au « Déo Gratias », c'est-à-dire au droit de parler à table, sans entendre le ronron habituel des lectures pieuses, imposées durant le repas pour faciliter notre digestion spirituelle. [...] Le fournil à Job Berthelot Tous les vendredis soir, notre cousin Job Berthelot, boulanger-pâtissier place du centre à Rostrenen, venait en char à banc à la ferme chercher un pot de crème pour garnir ses gâteaux du dimanche. [...]Un vendredi soir, alors que nous rentrions de l'école à bicyclette, Job nous parla longuement d'un poète, Armand Robin, qui, la nuit, le visitait en son fournil. Armand, insomniaque, venait y chercher la chaleur du four, mais aussi celle du cousin Job. De leurs conversations, nous n'eûmes droit qu'à des bribes. Des histoires de blé, de farine, de chevaux qui mâchonnent leur trèfle et de « temps qu'il fait ». Le monde d'Armand Robin parlait, la nuit, à celui de mon cousin Job. Par ricochets, nous en parvenait un reflet, « surgi du fond du peuple armé du fouet des mots ». |
Ce témoignage de Jean Kergrist est extrait de la revue Hopala ! N° 40, septembre novembre 2012 |