Armand Robin était un anarchiste conséquent, qui, un
moment, se trompa de route puisqu’il fut communiste.
C’était pendant la guerre… Je l’ai connu en 1945 au
groupe du quinzième, affilié à la Fédération anarchiste
du quai de Valmy. Il était, disons, président de ce
groupe. On se réunissait une fois par semaine. On
traitait des problèmes sociaux, mais aussi souvent de
livres, de peinture. Comme il avait des accointances
avec le milieu littéraire, il invitait des auteurs. Il
aimait les surréalistes. Je me rappelle qu’André Breton
vint nous faire une causerie. Comme la plupart des anars, Robin était un homme relativement secret. Il parlait mais ne racontait rien. Dans une lettre désormais célèbre, il se porta ‘candidat d’avance pour toutes les listes noires. Il luttait contre les ostracismes et, en l’occurrence, contre ceux du Comité National des Ecrivains. Il haïssait Aragon. Il affirmait qu’Aragon l’appelait Abraham Robinovitch. Je travaillais à cette époque au Libertaire. J'écrivais des articles, j'apprenais la mise en pages avec les gars de la rue du Croissant. Dans ces éditions du Libertaire, Robin publia le poète hongrois André Ady. Il disait : « Trente poètes de tous pays ont pris ma tête pour auberge. » Il en traduisait beaucoup. II habitait sous les toits, rue Falguière. Là, il passait d'une station de radio à l'autre. Il connaissait plus de vingt langues... Ce tête-à-tête avec les radios mondiales le mettait en rapport avec les propagandes. Nul mieux que lui ne savait comment on colonise les âmes et combien les mots sont dévoyés. « Dans les pays où règne la propagande, déclarait-il, l'homme continue à remuer les lèvres, mais tout authentique usage de sa parole lui est retiré. Il s'agit d'une razzia contre son entendement Les carnassiers mentaux en quête de pâture se repaissent de millions de cerveaux. L'être humain est mort alors qu'il croit vivre encore. » Il s'était marié, me semble-t-il, avec une jeune femme qui venait des pays de l'Est, afin qu'elle puisse demeurer en Occident. Cela se faisait beaucoup en ces temps-là. J'allais très fréquemment chez lui. Il donnait des leçons de latin à une copine. Comme cela se passe partout, notre groupe fut, un jour, en désaccord avec la Fédération anarchiste qui nous tenait pour des rigolos. C'est qu'il y avait les communistes et les individualistes, dont nous étions, chez les libertaires. La rupture ne fut pas brutale. Chez les anars on a le droit d'être en désaccord sans être menacé d'exclusion. Puis, progressivement, je cessais d'aller aux réunions sans cesser pour cela de fréquenter Robin... Que dire encore ? Qu'il avait pris l'habitude tous les soirs de téléphoner au commissariat de son quartier. Il demandait le commissaire, déclinait son identité, donnait son adresse et disait : « Monsieur, j'ai l'honneur de vous déclarer que vous êtes un con. » Ça l'amusait beaucoup. Il n'avait pas toujours l'art de se faire des amis. » Georges Brassens, Le Monde, 7/08/1981, propos recueillis par Louis Nucera
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