Les Chinois des bons siècles tenaient en quelque lieu prudemment clos et interdit généralement nommé palais, leur tout petit nombre de déments. Là-dedans, licence de toute cabriole : former des gouvernements, dresser la police contre tout homme suspect d'honnêteté, lancer des lois contre le Fleuve Jaune, ces passe-temps de désordonnés n'étaient point dommageables, la population ayant pris ses précautions. Les laboureurs labouraient, les danseuses dansaient, les poètes étaient poètes, les chefs d'État déliraient.Tchouang-Tseu ne hâta son pas qu'une seule fois: il cheminait par les rizières, on vint lui dire: « L'Empereur vous attend pour vous nommer ministre ». Épouvanté, ce sage détala.En nos temps, hélas, il est reçu qu'il faut participer aux activités des révoltés au pouvoir. Le laboureur vote, la danseuse va chez les flics, les poètes signent ils ne savent quoi. Les Chinois se passionnent pour le monstre Mao- Tchang- Tseu-Kai- Tong-Chek.Mascolo, bravant les quolibets, veut nous colloquer comme suit: « On ne se promène dans les forêts qu'en des circonstances historiques ». On lit jusque dans la Parisienne (mars 1954, page 351) : « Le siècle est à la politique comme on dit que le temps est à la pluie ».Par grâce, c'est l'inverse qui est vrai: ces temps resteront ceux où, pour la première fois sans doute avec cette force dans l'histoire de l'humanité, aura résonné la parole de l'avenir: « Le pouvoir est maudit» (Louise Michel). Tout goût de la puissance marque une révolte.Libre à ceux qui ne sont poètes que nominalement d'acquiescer aux descriptions de ce siècle que tant de personnes intéressées veulent imposer. Les véritables poètes vivent et créent en avance sur leur temps.Les poètes de ce siècle, on les reconnaîtra au fait qu'ils auront tout fait en toute circonstance pour être le plus mal possible avec tous les régimes successifs, avec toutes les polices, avec tous les partis, cela même au péril de leur vie et, bien entendu, au prix de gigantesques campagnes de haine et de calomnies déferlant de tous les côtés (ils y aideront au besoin avec le sourire). Aucune tactique, aucune stratégie, aucune ruse, aucune crainte de la pauvreté, aucun souci de la renommée. Sur tous les plans, une indépendance totale vis-à-vis de tout.Tous les littérateurs restés dans ce siècle parlent de la fascination du communisme. Par une incroyable aberration, ils y voient quelque chose de nouveau; les poètes savent que le communisme, ultime défense du vieux monde, est une ingénieuse invention de la bourgeoisie pour tenter de sauver par tout moyen l'exploiteur, le capitaliste, le fasciste, le flic, le cagot, l'obscurantiste, le sorcier, et même le courtade. |
Inédit en volume du vivant de Robin, ce texte est paru d'abord dans la revue La Parisienne, en avril 1954, puis dans L'homme sans Nouvelle, Ed Le Temps qu'il Fait, 1981et dans Ecrits Oubliés I, éd Ubacs 1986, sous le titre Se garer des révoltes, ce qui en change sérieusement le sens. Voir l'éclairage de la revue La Parienne dans l'éphéméride 1954