En tête de la rédaction : Les poètes ont le droit de mettre les politiciens
dans leur bestiaire puisque les politiciens
contraignent les poètes à leur société. Voilà pourquoi nous publions le très libre
poème d’Armand Robin qui voit en François Mitterrand
« le seul méchant bœuf du Nivernais » Ce n’est pas ainsi qu’il tombe sous le regard
des habitués de la Brasserie Lipp ? Quant à lui, qui naguère, par le truchement de
feu Schueller, et comme directeur du magazine
« votre Beauté », n’hésita pas à frayer,
non sans profit, avec l’illustre vache de Mon Savon,
il ne saurait s’irriter d’être ainsi mis au
pâturage, ni, comme on dit, en « prendre son
bœuf »
LE SEUL MÉCHANT BŒUF DU NIVERNAIS
I
Je ne veux pas offenser les bœufs du Nivernais,
Bœufs honorables, bœufs honorés, bœufs bien nés ;
A Pougues-les-Eaux, quand j'y ai vécu,
Ils furent ma consolante famille, nul ne l'a su.
Puis la Nièvre est un département charmant ;
Les coteaux y sont comme les vallons, par moments.
Donc je n'encornerai qu'un seul bœuf du Nivernais,
Le seul vilain bœuf qu'on ait vu au Nivernais.
II
- Ce vilain bœuf s'appelait François Mitterrand
Et tous vous diront qu'il avait l'air très
méchant.
C'est qu'il était bœuf et ne savait pas qu'il était
bœuf ;
Ce bœuf avait fureur de ne pas être bœuf.
Quand un ami, par exemple un poète, lui disait : «
Malheureux
François, vous êtes bœuf ! », il était coléreux.
Il n'aimait pas du tout l'humilité de l'herbe ;
II reprochait à l'herbe de n'être pas superbe,
Les autres bœufs se courbaient vers l'herbe, eux ;
Et l'herbe faisait tout pour les rendre bons
herbeux,
Mais lui, je vous l'ai dit, c'était un méchant bœuf
;
Aucune herbe, c'est naturel, n'aimait un tel boeuf.
III
Tout cela sera conté pendant des siècles dans le
Nivernais.
D'herbe en herbe, de bœuf à bœuf, de Nivernais à
Nivernais.
Mais il n'y a pas que l'histoire du mauvais
bœuf
Avec l'herbe ; il y a l'histoire des filles avec le
mauvais bœuf.
IV
Les filles, c'est connu, ne recherchent pas les
bœufs ;
Et même, c'est connu, elles ne disent rien aux
bœufs.
Mais ce bœuf-là, je vous l'ai dit, ne savait pas
qu'il était bœuf ;
Il s'en vint vers les filles sans savoir qu'il était
bœuf.
C'est prosaïque à dire ; toute fille fut vache.
L'une d'elles frappa le bœuf à grands coups de
cravache,
Lui faisant rare honneur, car les coups de cravache
Sont pour les chevaux ; elle avait, dans sa tâche,
Fait une erreur sur l'animal ; elle aurait dû penser
:
« II ne sera jamais cheval, même fouetté ! »
V
Tout cela sera conté pendant des siècles dans le
Nivernais,
De vache à vache, de fille à fille, de Nivernais à
Nivernais.
O, malheureux François !
Dans les mémoires tu resteras mauvaise herbe !
O malheureux, malheureux François !
Vivre mauvais bœuf et finir mauvaise herbe !
O malheureux, malheureux, malheureux François !
Dimanche 27 avril 1958.
Armand Robin, La
Nation Française, 27/04/1958. Le poème est
illustré de 3 caricatures de bovins. Il a par ailleurs été
largement diffusé par Armand Robin à divers correspondants
sous forme de feuilles volantes et sous des versions
variées.