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Armand Robin: à la gazette littéraire de Lausanne

- 1958 - 1961-

Trois poèmes de Max Ernst

Il s’agit plus précisément d’un seul poème, que nous présentons en trois états différents. Max Ernst avait écrit le texte original en allemand, en 1950. Armand Robin, séduit par la vigueur de cette poésie, la traduisit en français. Neuf ans plus tard, Max Ernst décida de donner à son tour une version française du « Schnabelmax », sur un ton plus léger, en jouant avec les mots et les images, et ce fut : « Hirondil, hirondelle ». Expérience surprenante, dont nous faisons part à nos lecteurs, et qui pose d’étonnants problèmes : le poète change-t-il, comme le dit Armand Robin, ou Max Ernst trouve-t-il que la langue française se prête à des harmonies plus légères ? Un thème semblable, traité par le même poète, inspire des variations diverses, selon qu’il est traité dans une langue ou dans l’autre. Génie de l’auteur, génie de la langue, situation du traducteur, l’oiseau-max, en battant des ailes, agite l’éventail multicolore des questions.

Frank Jotterand

 

Deux illustrations, la 1ère de Max Ernst, accompagnaient l'article d'Armand Robin, ainsi que le texte en allemand.

 

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Qui change : le poète ou le bouvreuil ?

 

Quand un poète chante un bouvreuil à l'âge de vingt ans, qu'il recommence à le chanter dix ou vingt ans après, il ne s'agit plus du même bouvreuil, parce qu'il ne s'agit plus du même poète; c'est encore plus vrai si le poète est aussi un peintre qui a VU le bouvreuil.

 

Et c'est encore plus vrai, métaphysiquement, dans le cas de Max Ernst: il se conçut, se dessina « oiseau-max », dans les deux poèmes que nous publions ci-contre; mais en s'opposant d'un « oiseau-max» à l'autre.

 

Max Ernst se fit « oiseau-max », par poésie et peinture, il y a environ une dizaine d'années, d'une façon et sur un ton austères, graves, presque tragiques. Plus exactement encore, il voulut être strictement, littéralement, « oiseau-max ». Telle est l'impression essentielle que laissent le texte du poème en langue allemande: « Das Schnabelmax» et les dessins illustrant ce poème.

 

(Dans le cas de ce poème, il semble perceptible que le chant précéda, détermina les dessins - que même le poème fut l'élément structurant de ces dessins si « architecturés »).

Une dizaine d'années plus tard, vers le mois de mai 1959, il se chante à nouveau, se peint à nouveau « oiseau-max » ; mais cette fois, il s'amuse avec les mots et les sonorités, bellement distrait du tragique d'autrefois. « L'oiseau-max » n'est plus du tout le stryge dont il illustrait dix ans auparavant son austère poème. Qui décidera si Max Ernst eut raison d'être tragiquement beau vers 1950 et bellement amusé en 1959 ? Il ne faut pas décider; il est suffisamment établi qu'en matière de poésie, de musique, d'arts plastiques, l'indétermination permanente mais précise est la plus saine source d'inspiration: « l'oiseau-max 1950» se voulait « oiseau-max» glabre; « l'oiseau-max 1959 » se veut « oiseau-max » délivré du stryge, du moins momentanément. « L'oiseau-max» 1959 détruit « l'oiseau-max» 1950.

 

Nos lecteurs trouveront ici, côte à côte, le texte allemand du poème de 1950... et le texte français qu'en refit Max Ernst en ce printemps 1959. Ils trouveront aussi notre version en français du texte de 1950 ; nous avons fait tout notre possible (sans penser à l'auteur, en ne pensant qu'au texte!) pour le restituer en sa rudesse première.

 

Cas très curieux de « traduction » poétique, c'est Max Ernst lui-même, par son entourage d'amis, qui me fit savoir qu'il aimerait bien que je m'occupe de son poème d'il y a dix ans; l'austérité, la sobre faroucheté de ce texte me frappèrent. Quelques mois plus tard, lui, de son côté, refit son poème pour le mettre en français. Et il fit de son poème original un tout autre poème, léger, léger, léger, sans vampire ou stryge!

 

Il ne resterait plus qu'à mettre en allemand du Max Ernst de 1950 cette joliette ariette de 1959.

 

Quel est le poète qui connaît sa poésie?

 

A. R.

 

L’ensemble, article de Robin et documents annexes, est consultable ici : https://www.letempsarchives.ch/


L’article de Robin figure dans Ecrits oubliés I Essais critiques de Françoise Morvan, éd UBACS, 1986..

La version de Max Ernst

Hirondil hirondelle

 

Où jadis une maison s'élevait

s'élève maintenant une montagne

 

Où jadis une montagne s'élevait

s'élève maintenant une étoile

 

Les daffodils jouent un concert pour cor et orchestre

stridulent distinctement dans la nuit

 

forgent une tempête

éclatent de rire

et s'endorment dans les yeux des daffodelles

 

Le tout viole le néant

le tout distribue quelques planètes

le tout gobe des océans d'air frais

et disparaît à l'ouest

sans laisser trace

 

Et voilà ô noces chimiques

où jadis une étoile s'élevait

hirondil hirondelle s'élèvent maintenant

oiseau de nos jours

la promise du jour

 

                                *

 

Chaque fois que des titanils circulent dans la bâtisse nommée monde

qu'ils frappent le sol en cadence

et trépignent d'un rythme régulier et lent

qu'ils font frémir la terre et les mers préliminaires

que fait hirondil

 

Il dessine une image du monde sur les parois vides du monde

il serre les poings il frappe son front

et chuchote d'un ton moqueur

ô titanils ô titanelles

 

Les daffodils que font-ils

ils font le signe de l'accent circonflexe

ils troussent leurs robes et blablatent d'exquises sottises

 

c'est alors que

mamamelle la surmère par pur caprice met au monde

un enfant de dix-neuf ans et dix-neuf mètres de haut

 

elle le nomme mon fils immonde

acéphale itiphalle

surnain d'iniquité

 

Mais voici que l'hiver s'installe dans l'image du monde

la neige se casse sur le sol avec fracas

les éclats se dissolvent en ténèbres

que le trépignement des titans se fait très audible

plein de taureau plein de rage plein de mais et changement

u'ils font cliqueter leurs rapières avec emphase

dans l'estocade avec verges et tringles et tierces

jusqu'au fond dans les corps des vivants

quand en outre ils piquent le soleil par derrière et par devant

en plein dans le visage

de façon que vienne la félicité

la lune roule à tes pieds

ô titanils ô titanelles

 

Et quand de nouveau ils versent leurs pluies et leurs briques

sur l'Europe

la Kafkasie et la Kafkamérique

au lieu de joyeux compagnons d'amour et réjouissances

et que leurs têtes comme il sied deviennent pierres

leurs disgressions jaune-moutarde très claires

leurs échines caniculaires

 

et que leurs plumes deviennent dures comme cuir

que  fait hirondil

il saisit par leurs queues de rats les titans les durs à cuire

et d'un geste leur indique la route

 

hirondelle que fait-elle

elle transporte le soyeux arc-en-ciel dans la rue à côté

l'y érige le renverse

puis elle revient à sa place et se jette à la renverse

 

Les daffodils que font-ils

stupéfaits, mais pleins d'espérances

ils sacrifient aux titans un coq aveugle

ainsi que d'innombrables poules aveugles à cheveux d'argent

et comme ceci ne sert à rien

Comme rien ne sert à rien

ils laissent tomber des paroles pleines de chrysanthèmes

 

Hirondil que fait-il

il met l'image du monde sous son bras

la soulève très haut la baisse très bas

il l'ouvre il la ferme

et la dépose sur la table du monde pour l'aimable contemplation

 

Hirondelle où va-t-elle

hirondelle s'en va-t-à la fenêtre

installe une chaise devant la fenêtre

saisit la poignée retrouve l'équilibre

ouvre la fenêtre

le ciel n'est pas libre

elle hurle incompréhensiblement dans la nuit

et ferme la fenêtre

puis elle revient à sa place et se laisse choir sur son lit

 

Hirondil où va-t-il

hirondil s'en va-t-à la porte

tire la clé de sa poche

ouvre la porte

contemple le néant

ferme l'oeil droit et la porte

ouvre sa bouche

compte ses dents

gobe le néant

compte les lunes

compte les saisons

hoche la tête et caresse son front

 

Alors les prunelles de ses yeux deviennent globes terrestres

il les prend entre le pouce et l'index

les roule sur la table

les fait éclater sur le sol

les lance en balles contre le mur

les rattrape au vol

et les fourre

avec la lune et la clé dans sa poche

et voilà ô noces chimiques

ô hirondil ô hirondelle

 

Où jadis s'élevait une étoile

une étoile maintenant se lève

 

Où jadis s'élevait une montagne

une montagne maintenant se lève

 

Où jadis s'élevait une maison

une maison maintenant se lève.

 

 

Max Ernst

La traduction d'Armand Robin

L’oiseaucouple

 

Où jadis une maison se tenait

se tient maintenant un mont

où jadis un mont se tenait

se tient maintenant un astre

les oisenfants sonnent joyeusement du cor

et stridulent nettement dans la nuit

l'omnimonde couvre en chimique désir le néantmonde

et vois

où jadis un astre se tenait

se tient maintenant un oiseaucouple

ce couple-ci c'est l'oiseau-max d'aujourd'hui

et rossignol la bien-aimée oiseaufiancée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A chaque entrée majestueuse des oiseaudieux dans la bâtissemonde

chaque fois qu'en rythme égal lentement là-contre ils trépignent

l'oiseau-max peint un tableaumonde dans l'espacemonde

serre le poing se frappe le front

les oiseaubêtes regardent stupéfaites

troussent leurs robes.. blablatent d'exquises nonpensées

mais l'ultramère eiigeiiarê'-d'ultracreur un adulte enfantmonde

et le nomme nonétoile nonbête ultragnome

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais voici qu'il se fait hiver dans le tableau

et la neige se casse en tombant sur le sol

tout le multicolore se dissout en noir

et quand alors le trépignement des dieux se fait très audible

plein de taureau plein de colère de mais et de changement

et qu'ils font que les rapières l'une sur l'autre de biais claquent

dans l'estocade avec verges penchés puissent

jusqu'au fond du corps en dedans

et qu'en outre ils piquent le soleil par devant et par derrière

en dedans dans le visage

alors quand vient la félicité

la lune roule à tes pieds

 

 

Et quand ils laissent à nouveau pleuvoir

sur l'europe sur la kafkamérique et sur la kafkasie

après le coup porté en surdité détresse et pleine puissance

au lieu de joyeux compagnons d'amour et de sagesse

et que leurs têtes comme il sied deviennent pierres

que les moustaches deviennent os

que leurs coeurs deviennent cuir

et qu'ils boisissent leurs ailes

alors l'oiseaucouple tourne la croupe aux dieux durs à [cuire

 

 

 

 

L'oiseaufiancée porte le soyeux arc-en-ciel autour du coin de la rue

l'érige dans la rue d'à côté et le jette

puis vient à sa place et s'allonge

 

Mais les muettes oiseaubêtes offrent pleines d'imaginairesespoirs

aux dieux boiteux un coq aveugle

avec d'innombrables poules aveugles aux cheveux d'argent

et comme ni ceci aussi ni rien du tout n'aide

elles contemplent impuissantes à la fenêtre

et laissent tomber des mots pleins d'automne et de désespoir

 

 

 

L'oiseau-max met son tableaumonde sous le bras

le lève en souriant vers le ciel

le fait retomber le referme

le pose sur la table monde pour l'aimable contemplation

 

Dame Rossignol s'en va-t-à la fenêtre

installe une chaise devant la fenêtre

prend la poignée en se tenant en équilibre

ouvre la fenêtre

regarde vers le haut hurle incompréhensiblement dans la nuit

et ferme la fenêtre

 

 

 

 

 

Oiseau-max s'en va-t-à la porte

tire la clé de sa poche

ouvre la porte

aperçoit le néantmonde

ferme l' oeil droit et la porte

ouvre la bouche

compte ses dents

engloutit l’omnimonde

compte les lunes

compte les saisons

hoche la tête et caresse son front

Alors la prunelle de son oeil gauche devient globe terrestre

il la prend entre le pouce et l'index

la roule sur la table

la fait éclater sur le sol

la lance en balle contre le mur

la rattrape avec sa main

et la fourre avec la lune et la clé dans sa poche

et vois

 

 

 

 

 

Là où jadis une étoile se tenait

s'accroît maintenant une étoile

 

Là où jadis un mont se tenait

s accroît maintenant un mont

 

Là où jadis une maison se tenait

S’accroît maintenant une maison.

 

 

Traduction Armand Robin

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