Jacques
Chessex ne nous parle guère que vers quatre heures du matin, aux mois de mai et juin. Ce
qu'il nous dit, il semble l'avoir confié d'abord aux oiseaux et aux arbres, avant l'aube
et même avant laube et même avant leur
aube. Son art, dans la vie et dans la poésie, est simple:
Je voudrais vivre comme un arbre...
J'entrais
dans une maison verte
Où le monde entier s'accordait à mon souffle,
J'étais une forêt légère et forte...
Il nous fait penser à une définition de Philippe Jaccottet (Promenade sous les arbres, page 69) : « le poète
est un arbre couvert de paroles » ; mais l'arbre-Chessex est plus proche de la nature que
l'arbre-Jaccottet, il a plus de fraîcheur.
Certes on peut trouver que par ci par là Chessex chante la nature
avec quelque préciosité, que ses feuillages et ses oiseaux sont enjolivés comme le
sont, par exemple, ceux de Jules Supervielle. Mais il faut n'avoir jamais vécu à la
campagne pour penser que la nature est naturelle: elle est partout pleine de coquetteries;
il suffit de se trouver à la lisière d'un bois un peu avant l'aube, au printemps ou en
été, pour savoir que les merles, les piverts, les hulottes rivalisent de mignardises;
c'est seulement en plein jour, quand le monde est plein du tumulte né des hommes, que la
nature semble sans apprêt. Cette vérité, apparemment trop peu connue, Jacques Chessex
la dévoile en tous ses poèmes. Autrement dit c'est dans la mesure où il prend des
manières pour célébrer les forêts, les oiseaux, les rivières, le vent, que Chessex se
trouve d'accord avec eux.
Et qu'on ne dise pas: il en est ainsi parce qu'il s'agit d'une nature suisse, dune nature dagrément.
Dautres poètes ont été inspirés selon les mêmes modalités par des paysages
tout à fait différents. Ce qui, à y bien réfléchir, est typiquement suisse ici, ce
n'est pas le paysage helvétique, c'est la façon suisse de voir le paysage; ce n'est un
hasard si Jean Jacques Rousseau, qui voulait pourtant du sauvage et de l'ébouriffé
révéla en fait que la nature était jolie, gracieuse, entoilettée. Oui! c'est là l'un
des principaux apports de la littérature suisse à la sensibilité du monde moderne:
révéler que la nature passe tous ses jours à s'endimancher:
O premier cri du jour!
O mots d'air pur : arbres ! forêts ! cavaleries
Du vent vert dans vos têtes drues !
Et vous, écorces humides comme des lèvres!
Racines profondes ô sources fines fruits clairs
Rameaux légers du vent musicien !
(Une voix la nuit, page 68), ed H-L Mermod |